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22 avril 2014 2 22 /04 /avril /2014 12:00

http://fr.web.img1.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/03/12/18/33/096867.jpg « Ah enfin ! Pas trop tôt ! » Presque cinq mois sans nouvel article ! Vous deviez vous dire que j’étais en train d’abandonner le navire par désintérêt soudain ou par fainéantise... Il n’en était pourtant rien ! C’est juste que depuis quelques mois, j’étais totalement investi dans la mise en place d’un festival de cinéma dans ma chère région du Nord-Pas-de-Calais et que, forcément, le temps pour aller dans les salles obscures et pour écrire à leur sujet s’était considérablement amenuisé. Voilà donc pourquoi depuis mon dernier article sur l’année 2013 au cinéma, j’étais resté désespérément muet. Après, au-delà de ça, peut-être y avait-il aussi une autre raison à mon silence, bien plus simple. Que dire par rapport à l’actualité de cette année ? Certes, je ne vais pas vous dire que rien ne m’a plu durant ce premier tiers de 2014, ce serait mentir. Mais bon, la plupart du temps je n’avais rien de plus à exprimer que ce que j’avais déjà écris dans mes critiques postées sur Allociné. Comme quoi, il fallait bien un grand bonhomme comme Darren Aronofsky – maître Darren ! – pour que je relance la machine... Ce que je ne pouvais m’imaginer par contre, c’est qu’il m’inspirerait autant de mauvais sentiments...

 

Raaah, que c’est dur ! Ce n’est vraiment pas ce que je préfère : écrire pour condamner plutôt qu’écrire pour encenser. Je trouve tellement plus constructif pour l’auteur et le lecteur d’un billet que de partager un propos qui s’efforce d’ouvrir une voie vers un plaisir, une compréhension nouvelle ou bien encore vers un espoir, celui que le cinéma novateur existe encore... Mais bon... J’aime me rappeler à la déontologie de ce blog. Ce que j’entends proposer, c’est un regard, un regard qui m’est propre. Quand j’ai l’impression qu’une chose est incomprise, trop peu mise en avant, ou bien tout simplement décrite de manière trop univoque, je ne peux m’empêcher de vouloir y rajouter mon grain de sel. Après tout, c’est ça le net : c’est offrir de tout et du n’importe quoi puis laisser les internautes se saisir de ce qu’ils désirent vraiment. Alors voilà : j’offre mon regard sur ce Noé ; j’offre mon regard sur ce que cela révèle selon moi de l’évolution de son auteur mais surtout de l’évolution de notre société... Libre à vous de ne pas partager ce regard et de le contester : les boutons « poster un commentaire » et « fermer la page » ont été créés pour ça. Certains penseront sûrement que j’en fais trop, que je vais trop loin dans l’extrapolation de mon analyse et ils auront sûrement raison. Seulement voilà, moi, ce film Noé, il m’inquiète. Or, dans des situations comme celles-ci, je me dis qu’écrire reste encore la meilleure des catharsis...

 

Darren, homme de foi et cinéaste-prophète...

 

http://fr.web.img5.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/03/26/16/39/374320.jpgJe ne vais sûrement rien vous apprendre, mais je ne me reconnais dans aucune religion ni dans aucun dieu. Si vous me lisez régulièrement, vous l’aurez certainement bien compris depuis fort longtemps. Si certains en doutaient encore, au moins voilà la chose clarifiée. Si je l’affirme ainsi d’entrée, c’est pour ne pas vous duper sur celui que je suis, ainsi que sur l’angle de vision que je peux porter sur une œuvre qui s’inspire d’un mythe religieux. Forcément, un athée qui n’est pas concerné dans ses convictions profondes par le mythe de Noé percevra ce dernier film d’Aronofsky bien différemment que celui pour qui cette légende a forgé depuis l’enfance son imaginaire et ses codes moraux. Vous pourriez tout de suite penser qu’en tant que bon intégriste de l’areligion, je vais vous dire que Noé est un sacrilège fait au bon cinéma tant ce mythe est farfelu, absurde, totalement déconnecté de la logique physique de ce monde et qu’il faut quand même être sacrément con pour prendre du plaisir face à ce type de récit totalement arriéré. Ça aurait pu, mais ce n’est pas le cas. Les dragons me paraissent aussi être des créatures absurdes ; la magie m’apparait également comme totalement déconnectée de la réalité ; comme c’est le cas aussi des revenants que je considère comme une croyance farfelue... Pourtant j’aime Game of Thrones ; je n’ai rien contre la saga Harry Potter et j’adore les Shining et consorts... Pour moi, personne ne va pas voir Transformers en s’attendant à un discours philosophique, ni ne va voir un Disney en s’attendant à un discours progressiste. Je fais partie de ces gens là. Quand je vais voir le Prince d’Egypte ou les Dix Commandements, je sais à quoi m’attendre ; je connais les règles du jeu... Et au risque de vous surprendre, j’attendais impatiemment ce Noé. Pour moi il avait même un sacré potentiel pour me plaire. Aronofsky n’a jamais caché ses convictions religieuses ; sa foi imprègne tout son cinéma ; et jusqu’à présent ça ne m’avait pas empêché de me prendre des grosses claques. Pour moi, avant tout, Aronofsky est un cinéaste sincère et généreux. Qu’un mec de son talent s’attaque au genre du récit religieux (si c’est un genre), moi ça ne peut que m’exciter, que m’intriguer, car je me dis qu’un truc nouveau s’offre à nous...

 

http://fr.web.img2.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/35/87/06/18700092.jpgOui, parler de religion ne me dérange pas au cinéma. Donner corps à une croyance ou à un mythe que je ne partage pas, ça ne me dérange pas non plus. Croyance, mythe, cinéma, tout ça pour moi relève du même domaine : le monde du fantasme, de l’imaginaire, de la fuite ou du questionnement du réel. Je prends autant mon pied devant Jason et les Argonautes que devant Avatar ; devant Le Prince d’Egypte que devant Star Wars... Si un gars, à travers un mythe, parvient à révéler quelque-chose de l’humain qui me parle ; s’il parvient à rendre concret un trait de caractère ou un fonctionnement du monde qui me porte, alors je me fous de la forme que prend cette métaphore : un monolithe dans l’espace ou une lumière dans le ciel, tout me va... Darren Aronofsky est un mec honnête. Il est certes croyant, mais il était jusqu’alors parvenu à dépasser cette croyance pour toucher à une forme de mysticisme universel. Dans Pi, il associe la logique des nombres qui régissent l’univers à la numérologie qui peut être faite à partir de l’ancien testament. Soit, j’adore.... J’adore cette idée que la logique de l’univers puisse être saisie par des nombres. J’adore Pi. Dans The Fountain, Aronofsky associe les sensations de l’immortel docteur Creo aux postures du moine bouddhiste... Darren ne veut pas faire de sa religion, le judaïsme, le seul vecteur de dépassement du simple matérialisme. Il y associe d’autres religions ; il y associe certains aspects de la science qui peuvent s’y assimiler. Chacun prend ce qu’il veut dans cet océan de mysticisme aronofskyen. Après tout, si on perçoit le mythe comme un récit métaphorique qui permet de faire voir des lignes de logique du monde ou du comportement humain, alors religion et cinéma sont deux médias assez similaires. Seuls le message et la vision portée sur le monde changent. Bref, tout dépend de l’auteur et de son état d’esprit. Or, moi je considère que, un peu comme un Terrence Malick, le grand Darren est un mec qui fait un cinéma à son image, un cinéma sincère. Comment leur reprocher d’y mettre leur esprit mystique ? Voilà pourquoi ce film Noé ne m’inquiétait pas par nature. Au contraire ; voir un cinéaste moderne, audacieux et universaliste prêt à se réapproprier un mythe aussi fondamental pour les monothéismes que celui de Noé, moi ça m’ouvrait à un champ de possibilité qui me séduisait...

 

http://fr.web.img2.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/92/66/38/20211484.jpgOui, on pouvait faire d’un film sur Noé un film moderne, universel et dans l’air de son temps. Et s’il y avait bien un cinéaste capable de mener cette prophétie c’était bien pour moi Darren Aronofsky...Le pire, c’est qu’au départ, tout le début du film m’avait fait espérer. Même si j’ai d‘abord été surpris à quel point la logique du blockbuster actuel stigmatisait ce film de ses codes les plus affreux (bougisme, musique pompière, CGI dégueulasses, photographie flashy), il y avait quand même là de sacrées prises d’audace. Le film sortait de ces figures iconiques surannées pour nous présenter un monde crade, sombre avec des héros aux gueules pleines de poussière... Ce monde de Noé était un monde où les humains vivaient de minerais mystiques, côtoyaient des créatures imaginaires ou bien encore où des anges pouvaient être enfermés dans de grands êtres de roche totalement difformes. Darren prenait ses aises ; interprétait à sa façon ; semblait prendre ses latitudes à l’égard de la littéralité du texte. Ce n’était pas à un récit moraliste auquel ce Noé nous invitait ; mais plutôt dans une sorte d’aventure d’heroic-fantasy dont l’intrigue faisait ressortir quelques aspects de l’âme humaine. Après tout, n’est-il pas question dans ce film d’humains qui exploitent les ressources naturelles créées par Dieu sans logique de « développement durable » et d’épanouissement des êtres ? Ce Noé ne se présente-t-il pas dès son départ comme une sorte de fable écolo, ou Dieu n’est qu’une métaphore de la logique universelle, de cet équilibre des forces dont on ne peut pas vraiment se soustraire sans en payer le prix ? Moi, ce postulat de base ne me dérangeait absolument pas. Il laissait même suggérer que la mentalité des temps de la Bible avait été oubliée au profit d’enjeux et de questionnements plus modernes. Non, décidément non, Noé avait le potentiel de devenir un bon film ; un film moderne ; un film qui sache redonner foi en ce pouvoir du cinéma... Il aurait pu... Malheureusement, le chemin pris par Aronofsky est tout autre...

 

Darren le Créateur... Darren le destructeur...

 

http://fr.web.img3.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/03/26/16/41/411408.jpgEt puis vint le Déluge... Alors, le frêle esquif qu’est ce film se mit à sombrer lentement... Et voilà que subitement, l’humanité se divisa en deux catégories. D’un côté Noé, de l’autre côté, tout le reste. Noé, c’est ce mec qui a été choisi par Dieu pour accomplir Sa volonté. Il a eu des visions qui lui font penser que c’est le mec qui est dans le vrai. Il a eu confirmation de la part des anges de pierres : donc pas de doute, Noé est le good guy, le choix divin, l’exemple à suivre à travers lequel la morale religieuse va transpirer. Or, qui est Noé dans ce film ? C’est un mec pour qui, en gros, l’humanité c’est de la grosse merde. A l’écouter, l’humain est juste capable de tout bousiller ; que le monde « c’était mieux avant » quand on vivait dans une nature pleine de soleil avec une température constante de 20° sans brise... L’humain ne sait pas se contenter du minimum, c’est dans sa nature. Il n’est capable que de se battre alors qu’il vivait sur un paradis terrestre : logique que Dieu veuille tous nous faire crever. On est tous mauvais. On est une erreur. Et comme Noé c’est un good guy, bah il accepte le sort de l’humain. Il sauvera les animaux en construisant son Arche. Par contre les humains crèveront et cela permettra de sauver ce qu’il y a de beau dans la création : les petits animaux tout mignon comme les lions qui savent mordre modérément la jugulaire de leur proie ou bien encore les cerfs et les sangliers qui ne détruisent qu’avec sagesse les écosystèmes dans lesquels ils vivent... Bref, Noé, c’est le héros, le gentil. Face à lui : les méchants. Parmi eux on retrouve tout d’abord le chef Mickey Rourke (oui bon je sais : c’est pas lui. Mais dans l’idée, c’est franchement ça) qui défend plein d’idées maléfiques comme celle qui consiste à se libérer de la fatalité grâce à sa volonté ou bien encore une autre hérésie comme celle qui consiste à vouloir vivre. Mais il n’est pas seul, car il a autour de lui toute une horde de gens qui, ne voulant respecter les projets de Dieu (qui consistent à tous les buter, rappelons-le), passent leur temps à se bouffer les uns les autres, notamment à bouffer leurs enfants (car c’est bien connu, quand on ne respecte pas la parole de Dieu, rien ne nous retient de manger nos propres enfants. Amour, tendresse, conscience, logique : tous ces trucs qui pourraient nous empêcher de nous bouffer l’un l’autre tout ça ne peut pas exister sans Dieu, c’est bien connu...) Mais aussi, parmi les autres bad guys, notons la femme de Noé qui a l’outrecuidance de vouloir épargner ses futurs petits enfants (tiens... C’est marrant, mis en parallèle avec la phrase précédente je trouve la logique de ce film assez drôle). Et autour de cette première succube s’en trouve une autre – Hermione – a qui on peut aussi clairement reprocher une fâcheuse tendance à la pulsion de vie. Et enfin, the last but not the least : les deux fils de Noé qui veulent juste avoir une vie normale, avec femmes et enfants... Bref, une hérésie ! Par tous les dieux ! Tant de vice dans ce bas-monde ! Bon, je pense que vous l’aurez compris, dès que la construction de l’Arche est lancée, moi j’ai commencé à avoir du mal à m’y retrouvé dans le film...

 

http://fr.web.img1.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/03/26/16/41/408127.jpgJe sais ce qu’on pourra me redire à ce moment précis de mon argumentation. Certains me diront « OK, c’est un peu rude pour aujourd’hui, mais n’oublions pas que ce récit date d’il y a près de 3000 ans (voire même 5000 ans si on considère que le mythe de Noé remonte en réalité à la légende de Gilgamesh) ». C’est vrai, il y a bien longtemps, les sociétés humaines étaient bien plus primitives dans leurs mécaniques de vie en société que cela ne peut l’être aujourd’hui. Mais bon, je pose une question : « à qui s’adresse le film ? » Aux gens arriérés du Croissant fertile qui ne savent pas lire et avec qui il faut y aller avec de gros sabots ou bien à cette civilisation assez apaisée et humaniste qu’est la nôtre ? Si on part du principe qu’on ne peut pas dissocier le mythe de Noé de cette morale archaïque d’un autre temps, alors dans ces cas là la question qui se pose est : pourquoi faire un Noé ?  C’est comme si on partait du principe qu’on était obligé de faire des adaptations régulières des grands mythes et textes idéologiques ayant marqué l’histoire ! Si on considère que le mythe de Noé est aujourd’hui totalement décalé de nos préoccupations et de nos représentations de l’univers alors qu’on ne s’y intéresse plus !  Et si on me sort l’argument « c’est quand même la Bible, on ne peut pas la trahir non plus », alors je réponds qu’un film quel qu’il soit ne changera jamais rien à la Bible. La Bible reste la Bible et restera la Bible. Le film Noé n’est pas un substitut à la Bible, c’est une interprétation parmi tant d’autre et là, en l’occurrence, c’est l’adaptation d’Aronofsky. La seule chose qui ne doit pas être trahie selon moi quand un auteur adapte un texte renommé ou sacré, c’est sa propre honnêteté intellectuelle. Aronofsky nous a montré que s’il voulait virer, modifier ou rajouter des trucs, il pouvait le faire. Il a rajouté un minerai à la con et des anges de pierre. S’il a montré qu’il savait s’offrir cette liberté là, alors il pouvait aussi virer la pensée misanthrope qui habite l’Ancien testament. Combien de Juifs, Chrétiens ou Musulmans sont encore persuadé qu’aujourd’hui l’humain est mauvais ; que la femme est responsable du péché originel et de tous les maux de l’humanité ; que nous sommes tous les descendants d’Adam et Eve et que coucher avant le mariage c’est mal ? Il y en a encore, c’est vrai. Mais, dans nos contrées, ils sont bien plus nombreux qui savent lire leur livre sacré en prenant du recul sur la dimension métaphorique de ses récits, sur leur époque de rédaction ou bien surtout sur l’évolution des mœurs qui s’est depuis opérée. Moi la question que je me pose, c’est pourquoi Darren n’a pas voulu adapter son discours pour se rapprocher de ce public là et de cette mentalité là ? Pourquoi, pour lui, garder ce discours misanthrope était fondamental ? Et pour tout ceux qui disent que le discours de ce film n’est pas misanthrope parce qu’au final la posture du héros éponyme est retournée, à ceux-là je leur demande de bien lire ce qui suit...

 

http://fr.web.img4.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/03/26/16/41/404377.jpgCertes, beaucoup sauvent le film pour ce qui se passe au moment du Déluge... C’est que, quand même, à la fin, tout le monde finit par se liguer contre un Noé qui nous est clairement présenté comme un intégriste ! Et c’est vrai qu’il y a clairement de quoi percevoir le Noé d’Aronofsky comme quelqu’un qui à mal interprété la volonté divine. Oui, sauf que, n’oublions pas que le Déluge ne cesse qu’au moment où Noé jure à Dieu qu’il ne faillira pas. Dieu récompense Noé quand celui-ci lui fait la promesse de zigouiller le bébé à naitre ! Alors certes, encore une fois, cette idée est contre-balancée par le fait que la colombe arrive au moment où Noé décide d’épargner les deux marmots, comme s’il s’agissait d’une mise à l’épreuve du style « sacrifice d’Isaac ». Mais bon... Qu’est-ce qui arrête le bras vengeur de Noé ? « L’amour » dit-il... Tant qu’il y a de l’amour tout ira bien... C’est la conclusion du film... Chouette... Quel plaisir d’ailleurs de voir qu’à la fin, le paradis terrestre renait... Sauf que, vu qu’aujourd’hui ce n’est plus le paradis terrestre, qu’on se crêpent tous le chignon pour des ressources naturelles comme le faisaient les humains en début de film, que dois-je comprendre ? Visiblement, le film nous renvoie l’idée qu’en fin de compte, c’est Noé qui avait raison depuis le début, que l’humain n’est pas capable d’amour. C’est une grosse merde qui se bat tout le temps. Sans humain le monde se porterait sûrement mieux. Merci pour le message plein d’espoir Darren. Certes, cette misanthropie extrême est le fait de l’Ancien testament – je ne le conteste pas ! – mais par contre Aronofsky avait parfaitement la possibilité de la virer s’il le souhaitait. Dans son film, c’est Darren le Créateur... Mais bon, visiblement, l’ami Darren n’est plus dans une optique de transcendance et de rapprochement des mysticismes... Il est davantage sur le repli identitaire et le retour aux enseignements ancestraux. Or, pour que Darren Aronofsky s’en retrouve là, c’est qu’il doit y avoir un gros souci par rapport à l’époque dans laquelle on vit...

 

Darren, l’homme des âges obscurs...

 

http://fr.web.img6.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/04/03/10/44/420727.jpgNon mais franchement : « comment ? » Comment peut-on se retrouver à notre époque avec ça sur tous les écrans, sur toutes les affiches, dans toutes les stations de métro ? 125 millions de dollars investies dans un film où on nous présente l’humain areligieux comme un anthropophage sanguinaire ; où la femme se limite en tout et pour tout au fonctionnement de ses ovaires ; et où surtout on nous présente l’actuelle humanité comme la descendance d’un couple incestueux entre deux jumelles et leurs oncles en rut ?!! Et faut-il préciser que même les Noirs, même les Asiatiques, même les Amérindiens descendent tous de ces quelques élus aux gueules d’Aryens qui n’avaient que pour seule vertu celle d’avoir écouté religieusement cet appel divin au génocide de masse... Non mais merde quoi ! On est en 2014 ! 2014, putain ! On est trois siècles après les Lumières et un siècle après les premiers droits de votes accordés aux femmes ! Comment peut-on se dire qu’en 2014, un film qui défend des valeurs pareilles puisse faire recette ? Et ça ne choque personne ? « Bah non ! C’est la Bible ! Ça mérite le respect ! Il faut se montrer tolérant... » Bah voyons !

 

http://fr.web.img6.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/03/26/16/41/414846.jpgLe pire avec ce film, c’est que j’ai l’impression que l’intention première d’Aronofsky a été de revaloriser ce récit biblique et de montrer à quel point les récits anciens ont force d’actualité et peuvent nous éclairer sur nos problèmes du moment. En toute honnêteté, si des gens l’interprètent comme ça, c’est flippant. Pour qu’on en vienne à trouver aujourd’hui un quelconque intérêt à ce propos c’est vraiment que la société va mal, que les gens ont peur, et qu’ils sont terrorisés au point de se laisser séduire par ces discours d’un autre âge où, au lieu d’éveiller les consciences, on endort par des discours simplistes et émotifs. Qu’une major américaine se soit dit qu’un tel film trouverait un large public, je trouve ça inquiétant. Que ce film ait une note qui dépasse la moyenne, à la fois sur Imdb que sur Allociné, je trouve ça très inquiétant. Et surtout, qu’un mec comme Aronofsky se dise que c’est ainsi que s’exprime au mieux sa foi en le judaïsme et en le cinéma, c’est juste ultra-flippant...

 

http://fr.web.img6.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/03/26/16/41/394689.jpgMais le pire – et c’est ça qui me dégoûte le plus – c’est que ce film à lui seul a failli me faire basculer du côté obscur et faire exactement l’inverse de ce qu’il espérait sûrement faire. Noé voulait nous montrer à quel point les monothéismes sont d’actualité. Au final, me concernant, il a enclenché l’exact opposé. Moi qui était parvenu à une forme de tolérance et d’ouverture d’esprit à l’égard des religions ; moi qui en était arrivé à la conclusion que la pensée religieuse n’était pas dangereuse par nature parce qu’au fond, elle était avant tout façonnée librement par chacun des individus qui s’en revendiquait ; voilà que face à un tel film, je me crispe et me rappelle à ces moments où je me disais encore que rien de bon ne pouvait découler de ce genre de religions constamment façonnées dans la misanthropie ; la pensée liberticide et surtout dans la condamnation du savoir et du plaisir. Et voilà comment d’un rien, je manque de sombrer dans une areligiosité primaire qui n’aurait que pour unique conséquence de briser les liens que j’entretiens pourtant si bien avec des croyants pour qui la pratique de la religion n’entame en rien leur ouverture d’esprit et la modernité de leurs mœurs. Voilà comment un film, par un discours aussi tranché et violent à l’égard des moeurs de la société moderne, jette de lui sur le feu et crispe les positions de chacun. D’un côté il incite les croyants sensibles à ce genre de discours à se replier sur des valeurs ancestrales et accessoirement liberticides tandis que d’un autre côté il insuffle involontairement la crainte chez ceux qui ne se retrouvent pas dans ces valeurs. Quelle erreur ! Quelle horreur ! Alors c’est ça le nouveau cinéma moderne aronofskyen ? Le nouveau cinéma populaire ? Les nouvelles valeurs à la mode ? J’espère que non parce que sinon, je dois bien l’avouer, j’ai très peur...

 

Conclusion : Noé, le film qui prophétise un bad zeitgeist...

 

 

Bref voilà après cinq mois d’absence le seul sentiment nouveau qui a su relancer la machine de l’écriture sur ce blog : la peur. Ce n’est pas le sentiment le plus beau, je le sais bien. Moi aussi je préfère enchanter plutôt que blaser ; encenser plutôt que blâmer... Après tout, en écrivant ainsi je risque de relayer ce que je condamne avec ce Noé ; je risque d’entretenir et d’alimenter les crispations intellectuelles et les replis identitaires auquel ce film invite presque involontairement. Alors certes, en ces temps sombres il aurait peut-être été plus sage de ne pas exprimer ce sentiment noir, de prendre sur moi, afin de ne pas répandre le virus et de ne pas susciter les ripostes virulentes. Seulement voilà, il me semblerait bien plus malsain de ne pas faire ici ce que je reproche pourtant à Aronofsky dans son film : être honnête intellectuellement. On ne peut pas faire un Noé aussi réac quand quelques années plutôt on faisait Black Swan... Il en va de même pour moi : je ne vais certainement pas m’épargner l’expression d’un sentiment réel et propos sous prétexte que la religion est un sujet qui est sensible en ce moment. Après tout, rendre sensible est l’une des forces du cinéma, alors si cet article y parvient aussi, c’est qu’il n’est pas si illégitime que cela...

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commentaires

L
Salut cinéphile, <br /> <br /> Merci pour ton commentaire fort intéressant. Il montre comment un même film peut être perçu avec de nombreux points de vue. <br /> <br /> Après, puisque ton commentaire appelle implicitement une réponse, je dirais que moi, personnellement, ce que je retiens le plus, c'est tout simplement le fait qu'on choisisse de faire un film sur Noé en 2014... Mais pourquoi ? Où est l'intérêt d'un mythe aussi mysogyne et même androgyne dans notre monde d'aujourd'hui ? Alors ok, Aronofsky a la délicatesse à un moment de faire passer Noé pour un intégriste. Il n'empêche qu'à la fin, Dieu lui donne raison. Pourquoi raconter ça en 2014 ? Qu'on soit catholique romain, juif, musulman, zoroastrien ou athée, c'est ça qui devrait nous interpeller à mon sens...
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L
Bonjour!<br /> <br /> J'ai lu attentivement ton article consacré à Noé de l'ami Darren. Ta colère est assez compréhensible, surtout quand on connait (pour t'avoir lu), ton affection pour Aronofsky. Je n'ai jamais vu un seul de ses films, mis à part Noé. Et je me demande si on ne pourrait pas interpréter ce film d'une autre façon.<br /> <br /> Il se trouve que je suis catholique romain et pratiquant. J'aurais donc pu me crisper en voyant un film qui "s'attaque" à un mythe fondateur de ma foi. Seulement voilà: un film n'a pas forcément pour vocation de peindre la réalité, et on peut prendre Noé pour ce qu'il est: une oeuvre d'art qui ne veut pas dire ce qui s'est vraiment passé (à supposer que l'histoire de Noé se soit vraiment passée, tous les exégètes chrétiens s'accordent pour dire qu'elle ne doit pas être prise au pied de la lettre) mais un conte qui veut nous dire quelque chose sur l'humanité.<br /> <br /> Or, il me semble que justement, le film veut montrer que l'humanité ne doit pas être séparée entre les "bons" et les "mauvais". En effet, les motivations de Tubal-Cain et de ses fidèles ne sont pas forcément condamnables! Ils veulent vivre et c'est tout. Ils s'estiment maîtres et possesseurs de la nature.<br /> <br /> Noé n'est pas non plus montré comme parfait: après tout, il s'estime doté par Dieu d'une mission; mais il l'interprète un peu comme il l'entend! Il se dit qu'après tout, Dieu a exterminé l'humanité sauf lui... afin qu'il construise une arche! Et c'est tout! Après, il doit mourir, lui et les siens!<br /> <br /> En fait, à travers cela, je vois plutôt le combat entre la logique "cartésienne" (l'homme doit vivre aux dépends de la terre) et la logique "écologiste radicale" (la terre doit vivre aux dépends de l'homme). De plus, Dieu extermine l'homme, c'est vrai. Sauf qu'on ne voit que l'extermination des descendants de Cain qui ont attaqué l'arche. Peut-être que d'autres hommes ont survécus. Quand à la descendance de l'homme... ben, c'est horrible, mais il n'y a pas d'autre moyen que celui-ci. Sauf s'il y a d'autres hommes.<br /> <br /> Enfin, je trouve que dans ce film, il y a un élément qui est toujours présent et dont j'ai un peu parlé dans ma critique: le diable. Dans ce film, il est en fait, partout présent. Ne serait-ce qu'à cause de sa peau qui sert de trophée à Noé. Ce que le film tente de montrer c'est qu'il est présent (métaphoriquement, cela veut dire que le mal est présent) en l'homme. Non pas qu'il soit un être mauvais, mais il est capable du meilleur comme du pire. D'où cette vision de Noé se voyant en train de déchirer à coups de dent le cadavre d'une biche.<br /> <br /> Enfin, le déluge... peut être aussi vu comme une réaction de la nature face aux excès de l'homme. Certes, Noé a vu le déluge en songes... mais il en déduit que Dieu va détruire le monde. Au nom de quoi? Peut-être que Dieu le prévenait de ce qui allait arriver: la réaction de la Terre. Certes Dieu pourrait l'en empêcher... mais il respecte ses créatures (raison pour laquelle Tubal Cain agit à sa guise).<br /> <br /> Je précise que je ne parle pas ici en tant que théologien (science qui me dépasse) mais en tant que cinéphile (auquel j'espère prétendre un jour). Et d'ailleurs, je ne tiens pas ce que j'écris comme vérité indépassable et souveraine, mais comme une humble piste de réflexion.<br /> <br /> Si tu a pris la peine de me lire jusqu'ici, merci à toi! J'espère que ce commentaire t'aura été profitable ou au moins divertissant à lire.
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