25 août 2009
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Sky Crawlers ?
Ce titre vous intrigue ? Vous n'avez pas le souvenir de l'avoir vu passer dans votre cinéma, ni même d'avoir entendu parlé de sa sortie. Rassurez-vous, Sky Crawlers n'est pas encore sortie en France
Mais sortira-t-il d'ailleurs un jour ? En effet, voilà déjà deux ans que le film a été produit et diffusé au Japon sans qu'aucune nouvelle tangible n'ait évoqué depuis une sortie dans nos contrées. Certains, en jetant un coup d'il furtif sur les images qui agrémentent cet article et qui remarquerait qu'il s'agit d'un énième film de japanimation, ceux-là se diront peut-être qu'en effet il n'y a pas grand espoir de voir distribuer ce type de films en France. Il est vrai que, même si depuis quelques Miyazaki et autres films de Takahata, les films d'animation trouvent désormais droit de Cité dans nos salles hexagonales, mais il faut bien avouer que cela reste un type de cinéma qui reste globalement marginal et difficilement rentable de par chez nous. Du coup, pourquoi devrait-on espérer la sortie de ce Sky Crawlers plutôt qu'un autre ? En vaut-il seulement le coup ?... Eh bien justement
Il y a peut-être une donnée qui peut justifier un minimum d'intérêt de votre part. Elle tient en une paraphe : «
par le réalisateur de Ghost In The Shell ».
« Par le réalisateur de Ghost In The Shell
» : le fameux Mamoru Oshii (le deuxième en partant de la gauche sur la photographie ci-dessus) ! Celui qui s'est justement fait un nom au niveau international grâce à Ghost In The Shell, et qui explique d'ailleurs que pas un de ses films ne soit sorti depuis sans que celui-ci soit mentionné sur l'affiche ou dans la bande-annonce. Il faut dire que, sur certains, ces simples mots «
par le réalisateur de Ghost In The Shell » sont d'une efficacité redoutable. J'en connais plus d'un qui, encore aujourd'hui, bondissent d'extase à cette simple annonce. D'ailleurs, peut-être que si vous en êtes arrivé à lire cet article, c'est justement parce que vous aussi vous êtes de ceux qui ne résistent pas à cet appel et qui, du coup, attendent et espèrent la sortie de ce Sky Crawlers en France. Sûrement avez-vous aussi pensé, pour arriver jusqu'à ce stade de la lecture, que j'en faisais moi-même partie et que cet article saurait combler une part de votre curiosité sur ce dernier film fait « par le réalisateur de Ghost In The Shell ». Seulement voilà
Vous auriez en partie tort et en partie raison de penser cela. Tort ? Oui, car pour être honnête, et il est important que je vous le précise pour que vous compreniez les motivations qui ont poussé à la rédaction de cet article, c'est que je ne fais plus vraiment partie de ceux qui s'enthousiasment d'un film estampé du nom d'Oshii
C'est vrai, j'ai adoré Ghost In The Shell et un article de mon blog saura vous en convaincre. C'est un film que j'ai trouvé d'une grande profondeur discursive et suggestive, le tout marié à une créativité et une limpidité qu'on retrouve rarement associées dans un seul et même film
Seulement voilà, depuis Ghost In The Shell je n'ai rien trouvé de cela depuis dans les films d'Oshii qui ont suivi. Qu'il s'agisse d'Avalon, ou bien encore d'Innocence - Ghost In The Shell 2, je n'y ai vu que confusion et idées brouillonnes, stigmates d'un réalisateur qui a oublié la rigueur et le regard critique avec le succès
Après tout, pourquoi devrait-on s'enthousiasmer de l'éventuelle sortie de ce Sky Crawlers s'il n'est que l'ombre de ce que fut « le réalisateur de Ghost In The Shell » ?
Alors, me diriez-vous, qu'espérer de cet article sur Sky Crawlers s'il est écrit par un désabusé d'Oshii ? Eh bien justement : quelle meilleure première approche d'un film que celle que vous propose un spectateur qui n'est pas acquis d'avance à la cause du réalisateur ? Pas d'hagiographie pompeuse, ni de discours illuminé qui se perdraient en superlatifs
Si je me suis décidé à écrire cet article, c'est parce qu'au fond c'était une belle opportunité de partager une expérience de cinéma. Je parle bien d'expérience car, quelque soit le niveau d'estime que l'on ait pour Mamoru IOshii, tous s'accorderont sûrement pour dire que ses films ont au moins cet avantage d'être tout sauf des films classiques. C'est au moins l'avantage à aller voir un film estampé du fameux « par le réalisateur de Ghost In The Shell », c'est qu'on sait au moins qu'il va s'agir d'un film fait hors des clous. C'est d'ailleurs accroché à cette idée que, lorsqu'on m'a proposé de jeter un coup d'il à ce Sky Crawlers dont le Blu-ray avait été fraîchement importé du Japon par un ami, j'ai cédé à la tentation. Pour ceux donc qui veulent se faire une idée de ce que donne le prochain Oshii, au travers du regard d'un grand blasé du maître nippon, c'est dès le paragraphe suivant que ça se passe
Un film ailleurs
Début très énergique : combats aériens, démonstration technique, effets visuels à la mode. A l'image d'un Ghost In The Shell 2, on s'efforce de mélanger animation léchée à teinte sepia avec images de synthèse de haut niveau. Difficile de dire qu'il ne s'agit pas là de travail de pros
Maintenant certains pourront encore trouver le mariage de ces deux extrêmes assez mal amalgamé. Question de goûts et couleurs ?... Qu'on accroche ou pas, l'introduction donne le ton
ou plutôt pas vraiment. Car on est très vite surpris par cette entrée en matière de ce Sky Crawlers. A cette introduction enflammée succède la mise en place d'une intrigue au rythme et au cadre plus que déconcertants. Soudainement le temps est en apesanteur : il ne semble plus rien se passer. Les personnages sont étrangement livides, on s'étonne d'ailleurs de voir autant de travail dans les décors pour au final s'affliger d'un character design épuré jusqu'à l'os. On peine d'ailleurs très vite à savoir ce qu'il faut bien tirer de cette présentation en longueur car finalement rien ne semble être dit. Oshii déroute et manque d'ailleurs de nous faire sortir de la piste tant l'ennui s'installe
On n'est pas vraiment dans le film
Mais on comprend très vite qu'en fait, c'est le film qui est ailleurs
C'est encore une de ces subtilités propres à Oshii et qui nous dépasse parfois. Il faut l'avouer : plus le temps passe, et moins le maître nippon semble vouloir s'embarrasser des conventions pour privilégier les choix qui vont dans le sens de la justesse de ce qu'il compte mettre en place. C'est parfois éprouvant pour le spectateur qui s'y perd, mais c'est aussi sur cette intransigeance que s'était construite la densité sans laquelle Ghost In The Shell ne serait pas ce qu'il est. Ainsi, souffre-t-on au début de ce Sky Crawlers, mais l'esprit endurci qui sait résister la première demi-heure, notamment en s'attachant au soin porté à la création visuelle et sonore de ce lieu atypique, parvient progressivement à se laisser emporter. « Emporté ? Oui, mais emporté où ? » me diriez-vous. C'est justement là que le film se démarque de ce qu'on a coutume d'éprouver : le film nous emporte ailleurs. Où cela exactement ? Justement, on ne sait pas. Puisqu'Oshii ne nous enivre pas d'action ni de parole, on observe et on essaye de se situer. On s'intrigue d'abord des lieux : une base aérienne certes, mais une base aérienne d'où ça ? Les patronymes des personnages sont japonais et ils parlent japonais, pourtant les visiteurs qu'ils reçoivent de l'extérieur parlent anglais, ont des airs d'Américains ou d'Occidentaux. On parle par moments d'Europe de l'Est, on évoque un moment une compagnie nommée Rostock, ville d'Allemagne de l'Est. D'ailleurs les villes de Sky Crawlers ressemblent à s'y méprendre à celle des pays slaves (ce qui n'est pas sans nous rappeler Avalon à certains moments). Les verts pâturages rappellent des contrées océaniques ce qui semble corroborer cette localisation d'Europe orientale, mais finalement toutes les cartes vues dans le film ne ressemblent à rien qui ne fasse penser à l'Europe de l'est. Finalement, on sait vaguement où on se situe, mais le lieu ne semble pas vraiment exister. Il en va de même quand on s'efforce de rechercher à se localiser dans le temps. Le combat d'avion du départ laisse suggérer une action qui se déroule dans le futur, étant donné le profil avant-gardiste des aéronefs. Mais très vite le trouble s'installe encore. Sky Crawlers aime porter la confusion sur l'espace, mais il se plait aussi à nous conduire en dehors du temps.
Le futur ? Le passé ? Une vision uchronique du passé ? Finalement, on ne sait pas vraiment
Quel est ce monde où les avions semblent si modernes dans leur profilage mais en même temps si anciens par leur absence de réacteurs auxquels on leur préfère encore les hélices ? Comment expliquer ces combats aériens qui nous rappellent à leur allure et à leur sonorité ceux de la seconde guerre mondiale ? Et puis il y a ces drôles de symboles rouges qui rappellent les étoiles soviétiques qu'arboraient les MIG
Les pilotes rencontrés dans les bars font d'ailleurs penser à ces pilotes de l'ère communiste. Leur faciès apporte d'ailleurs de l'ambigüité. On se plaignait au début du film du manque d'expressivité du dessin des personnages et finalement il en ressort une richesse de sens qui nous perd. D'ailleurs, on parlait de combats d'avions
Qui se bat contre qui ? On ne sait pas vraiment
On ne parle même pas de pays
Une vague lutte entre deux compagnies d'armement
Bref, au final, à nous laisser simple observateur dans son univers apathique, Oshii parvient à nous conduire là où il voulait : il ne voulait pas nous conduire dans un lieu, ni dans une époque, ni dans une intrigue, mais dans un état
Or, la minutie apportée aux détails, la richesse du milieu dans lequel il nous plonge, finit par avoir raison de nos esprits de spectateurs formatés. Petit à petit il gagne, et on se laisse vaincre sans trop de réticence tant on est prêt finalement à se laisser emporter dans ce film empirique un peu particulier, un film d'état plutôt que d'épreuve
Un film qu'on subit, sans pour autant qu'on se fasse agresser. Il faut reconnaître ce talent là à Oshii : son talent de mise en scène est suffisant pour nous conduire là où il voulait nous emmener. La destination offerte par Sky Crawlers, c'est un étrange état passif dans lequel on finit par se complaire
Très bien, mais ensuite ?
Un film au passif
Cet état passif dans lequel le film nous plonge, et dans lequel il finit par se complaire avec un certain confort, n'est pas qu'une facétie de forme de la part de maître Oshii. Bien au contraire. C'est peut-être sur ce domaine là que Mamoru Oshii est redevenu le grand Oshii : tout choix de sa part répond d'une volonté de servir le propos du film. Or le propos est justement ici une certaine forme de passivité. « Traiter de la passivité ? Avec des combats d'avions ? Qu'elle drôle d'idée ! » Mais c'est justement de cet amalgame inattendu qu'Oshii parvient à atteindre son objectif : mettre en évidence une certaine vacuité. Certes ces pilotes que l'on suit risquent leur vie à chaque combat. Ces combats sont fréquents, acharnés, et savent instaurer une réelle giclée d'adrénaline dans le film
Mais au final pourquoi se battent-ils ? Le film laisse suggérer que ces pilotes ne défendent même pas une nation, puisqu'on présente ce conflit comme une sorte de guerre civile au sein d'une même « Confédération européenne » et où les belligérants sont des compagnies d'armement. Difficile de faire guerre plus vaine de sens. On ne peut s'empêcher de se dire et le film se garde bien d'en dire plus et finalement à raison que ce qui peut conduire deux compagnies d'armement à se combattre ne peuvent relever que de viles affaires de contrats d'équipement ou d'autres basses motivations économiques
la guerre de Sky Crawlers est la guerre la plus vide de sens qui soit, et ce qui est intéressant c'est que la population semble se contenter de la subir. Elle ne s'en émeut même pas, se désintéresse visiblement de celui qui vaincra, et se contente au final de mener sa petite vie en s'efforçant de ne pas mourir. Mais Oshii semble insister tout au long de son film que finalement, bien qu'ils recherchent la survie, tous ces gens sont déjà plus ou moins morts
De toute cette faune humaine, presque végétative, ce sont les personnages qu'on nomme les Kildren qui attirent le plus notre attention. Oshii prendra tout le temps de son film pour nous révéler la véritable nature de ces étranges individus. On nous dira juste dans le premier quart d'heure du film que ces Kildren sont en fait des adultes restés à l'état d'enfant, et qu'ils ne peuvent pas mourir de mort naturelle. Ainsi comprend-on progressivement leur présence dans les divisions de combat : c'est pour eux leur seule chance de mourir (et encore
Le film réserve des surprise à ce sujet
) « Quelle folie à vouloir mourir ! » pourrait-on se dire
Oui, mais Oshii semble justement induire l'idée que l'Homme a besoin de sentir l'ombre de la mort pour sentir qu'il est vivant, l'Homme a un besoin irrépressible de mener ses guerres pour que la peur de la mort le resensibilise à la vie
Voilà bien un étrange propos auquel cherche à nous ouvrir le maître nippon, et pourtant, la plongée qu'il nous fait subir dans son univers de Sky Crawlers donne du sens à son propos
Il faut bien l'avouer, par la plongée dans cet univers sans véritable ancrage, sans véritable sens, sans véritable finalité dans lequel ses personnages semblent tous aussi égarés et passifs que nous à son égard, Sky Crawlers nous ouvre à un certain regard vain que l'on pourrait porter sur notre façon de mener notre existence. Une course après des buts éphémères, la perpétuation d'une espèce au travers de cycles immuables
Et ces hommes et ces femmes qui se contentent de les accomplir, sans broncher finalement puisqu'au fond, qui a-t-il d'autre ? Sky Crawlers c'est finalement cela : un monde passif, une humanité passive, et des personnages qui recherchent désespérément à sentir qu'ils sont vivants
Ainsi se bat-on pour rien
Ainsi se fixe-t-on des objectifs illusoires, comme abattre un ennemi phantasmatique comme ce fameux « professeur », personnage qui change de camp à l'envie et semble une fois de plus affirmer l'absence de sens de ces combats
Qu'il s'agisse là d'une vision misanthropique de l'humanité ou de la critique d'un système social, chacun est finalement libre de ressentir l'uvre d'Oshii avec ses propres sens. Mais c'est justement en cela qu'elle en devient des plus intéressantes. Quoi qu'il est pu vous être dit sur ce film, quelques soient les éléments de l'histoire qui vous ont été révélés, vous ne serez rien de ce film tant que vous ne vous y serez pas exposés. Sky Crawlers est un film que l'on voit, que l'on subit, que l'on vit
Ce n'est finalement pas un film qu'on nous raconte et cette seule qualité suffit à justifier qu'on s'y intéresse
Conclusion : Sky Crawlers
par le réalisateur de Ghost In The Shell ?
Vous l'aurez sûrement compris, de mon humble avis en tout cas la chose me semble entendue, ceux qui scrutent l'horizon des futures sorties en attendant de voir pointer le museau des avions de Sky Crawlers n'attendent pas ce coup-ci un mirage
Pour l'occasion, Oshii n'a pas été l'ombre de lui-même
Il surprend même par la maitrise avec laquelle il a su mêler sa forme et son fond en parfaite adéquation pour qu'en ressorte le propos le plus limpide qui soit. A l'image finalement d'un Ghost In The Shell, Sky Crawlers n'est pas forcément la plus accessible des uvres, mais parce que pour le coup, et contrairement à Avalon ou Innocence, elle ne se prend pas les pieds dans le tapis qu'elle vient elle-même de dérouler, on prend un plaisir réel à l'explorer et à la découvrir
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Alors finalement
« réalisé par l'Oshii de Ghost In The Shell » ce Sky Crawlers ? Eh bien finalement, quand on ressort de ce film, dont on ressort un peu d'ailleurs comme d'un coma, on se dit que d'un certain point de vue, ce n'est pas le réalisateur de Ghost In The Shell qui l'a enfanté, mais bien le réalisateur de Sky Crawlers. Car si on ressent bien la patte de l'artiste et que l'on ressent dans toutes ses uvres, ce film possède clairement sa propre logique, sa propre âme, sa propre façon de s'offrir au spectateur. En fait elle est là la patte du Oshii qui nous manquait tant, cette patte capable de nous dresser un film unique, en dehors de son temps et en dehors de tout genre
En somme vous l'aurez compris : « les fans d'Oshii parlent aux fans d'Oshii
» la sortie de Ghost In The Shell en blu-ray ne sera pas la dernière croix en rapport avec ce grand maître du cinéma que vous aurez à cocher sur votre calendrier...