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24 février 2008 7 24 /02 /février /2008 20:56

                              

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Adaptation. Si l'espace d'un instant on accepte d'oublier le sens strictement cinématographique du mot pour se concentrer sur son sens général, alors s'offre à nous la véritable essence de cette démarche. Qu'est-ce que l'adaptation ? On serait tenté de la définir comme une simple transposition d'un format à un autre. A prendre le terme d'adaptation à la lettre, on parvient à saisir le principe d'une transformation - d'une modification structurelle - dans un souci d'adéquation avec le milieu. Alors, certes, il est bien vrai qu'en ces temps actuels où le risque au cinéma est de moins en moins permis, l'adaptation de romans divers fleurie comme jamais. Non pas qu'elle n'était que marginale auparavant, mais les grands succès d'aujourd'hui me semblent de plus en plus être tirés de romans à l'origine. Cependant, ce n'est pas parce qu'un film va s'inspirer d'une œuvre de papier de grande qualité que le travail est déjà tout fait. Porter une histoire au cinéma nécessite une transformation, oblige à des choix. Bref, l'adaptation n'occulte en rien le travail et le regard d'un cinéaste.

Pourquoi s'étaler sur un tel sujet vous dites-vous peut-être ? A dire vrai c'est parce qu'il m'a été donné l'occasion, il y a de cela quelques mois maintenant, de réfléchir à l'adaptation d'un roman que j'avais trouvé particulièrement réussie. Pour information, la personne qui m'avait posé cette question était la charmante Audrey Horne, dont le blog mérite d'ailleurs le détour (vous y trouverez la réponse de nombreux blogueurs concernant cette question). J'avoue que le peu de romans que j'avais lu et qui avaient été adaptés au cinéma l'avaient été de manière assez maussade, et je me voyais mal sortir la Guerre du feu de Jean-Jacques Annaud dont j'avais vomi le roman original. Vous l'aurez compris, c'est finalement ce film d'animation japonais de la fin des années 80 que je me suis décidé de citer, ce film dont le manga dont il est tiré à littéralement marqué une génération : j'ai nommé Akira. Alors certes, Akira n'est pas un roman mais un manga, le film n'en est pas tout à fait un puisque c'est un film d'animation, ce qui ne rentre pas tout à fait dans le cadre de la question que m'avait posé la charmante Audrey, néanmoins c'était un choix dans lequel je me retrouvais amplement tant ce film avait pu cerner ce qui, à mon sens, relevait du véritable travail d'adaptation.

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De plus, j'ai cette chance d'avoir abordé les deux œuvres, le film et le manga, plus ou moins indépendamment l'une de l'autre. J'ai effectivement découvert le film assez jeune sans me tourner directement derrière vers le manga. Ce n'est que quelques années plus tard que j'ai eu l'opportunité de lire le manga, mais sans forcément me souvenir du film. Enfin, je me suis alors retourné vers le film avec, ce coup-ci, un regard comparatif. Or, ce qui m'a surpris – et agréablement surpris – avec ces deux pendants d'Akira, c'est la liberté que prend l'un par rapport à l'autre. Chaque version a finalement sa personnalité, son unité, mais parvient néanmoins a raconter une même histoire mais sous deux angles singulièrement différents. En effet, le film s'est permis de totalement modifier l'intrigue, d'occulter des pends entiers de l'histoire originale, d'en inventer d'autres pour, au final, offrir une œuvre totalement indépendante de l'œuvre originale. « Trahison ! » a sûrement hurlé l'auteur original de cette histoire, vous dites-vous. Eh bien figurez vous que non… pour la bonne et simple raison que le réalisateur du film n'était nulle autre que l'auteur du manga original : M. Katsuhiro Otomo. Voilà en quoi ce film Akira me fascine finalement tant : il incarne une perception de l'adaptation qui est au fond assez rare : relativement libre mais qui pourtant trouve dans son droit à la trahison une fidélité à l'histoire originale que peu d'adaptations peuvent envier. L'objet de cet article sera donc double puisqu'il s'agira aussi bien de chercher à cerner l'essence même de l'adaptation au cinéma à travers cet exemple singulier qu'est Akira, mais il s'agira aussi de vous inviter à découvrir et comprendre la qualité de cette œuvre ovni des années 80 que l'on occulte sûrement plus qu'elle ne le mérite.

 

 

 

Deux formats différents, deux histoires différentes ?

 

 

Avant d'être un film d'animation, genre avec lequel les Japonais ont un rapport très privilégié, Akira était donc un manga c'est-à-dire (afin d'éviter d'éventuelles confusions) une bande dessinée provenant du pays du soleil levant. Certes, il est vrai que cela implique dès le départ un effort d'adaptation qui n'est pas tout à fait le même que s'il s'était agit d'un roman. Effectivement, avec une adaptation de roman au cinéma, il y aurait eu comme première difficulté celle de définir un cadre visuel concret pour l'œuvre : d'associer des images concrètes à ce qui n'était alors que des images mentales sujettes à interprétation. Par exemple, on pourrait parler, pour le Seigneur des Anneaux, de la difficulté de choisir un acteur pour incarner chacun des personnages car, pour sûr, à l'origine, tous ne s'imaginaient pas forcément Aragorn sous les traits d'un homme comme Viggo Mortensen. C'est donc bien là une première difficulté dont Akira est totalement affranchie. Déjà, par sa nature de manga, Akira fixe une image concrète à son univers et à chacun de ses personnages. Enfin, la conservation du caractère dessiné de l'image par le choix du film d'animation évite toute marge d'adaptation, à part dans le domaine de la bande son, il faut en convenir. Doit-on en conclure pour autant que la fidélité du film Akira à l'œuvre originale s'explique en ce seul point, la facilité de l'adaptation ? Bien évidemment non. Et il m'a semblé justement judicieux de commencer par souligner ce point pour bien mettre en évidence sur quel champ porte essentiellement l'effort d'adaptation. Il ne porte pas sur la simple mise en image, sur la transcription visuelle de quelque chose qui ne relevait alors que du suggestif. Bien au contraire cette dimension n'est au fond qu'un détail de ce qu'est l'adaptation. Le vrai point de croix de l'adaptation réside dans la construction de l'histoire, les choix qui sont faits sur le cheminement de l'intrigue en fonction du format dans lequel l'œuvre originale va être adaptée.

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                                                                     Katsuhiro Otomo

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Même s'il s'agit d'un manga, et non d'un roman, Akira n'en répond pas moins à ces choix nécessaires de reconstruction de la narration pour ce qui est de l'adapter au cinéma. Akira n'est pas une bande dessinée qu'on lit en l'espace de deux heures. Bien au contraire, si on se souvient qu'en sa dernière édition chez Glénat, la saga Akira représente 6 tomes de plus de 400 pages chacun, on comprendra qu'il faut bien compter une bonne journée pour tout lire à un rythme normal. D'un point de vue narratif donc, Akira peut-être assimilé à un roman de petite taille. Il a un rythme régulier. Il dilue son action afin de prendre le temps de poser une atmosphère et un univers. Bref son histoire est formatée pour un temps de narration long et certainement pas pour un temps de narration court comme cela peut-être le cas pour un film. C'est donc bien ici que se trouve tout le cœur de la démarche, et c'est ici qu'Akira le film trouve son immense intérêt. On l'a déjà souligné mais il convient de le rappeler ici, car c'est sur quoi nous allons nous pencher dans un premier temps, Akira a opté pour une voie peu commune dans le domaine des adaptations d'œuvre culte. Au lieu de s'efforcer de coller le plus à l'histoire originale afin d'y rester le plus fidèle possible, Akira a en grande partie dynamité son intrigue pour en reconstruire une nouvelle. Ce choix des plus osés est d'autant plus intéressant qu'il est, rappelons-le, le fait de l'auteur même de l'œuvre originale sur papier. Il n'y a donc dans cette démarche aucune volonté de réappropriation de la part d'une tierce personne mais bien un souci absolu de respecter l'esprit originel du manga.

 

 

Ce qui a été modifié…

 

 « Tokyo, année 2019, 31 ans après la troisième guerre mondiale. » Une chose est sûre, c'est que les lecteurs du manga ne pourront être surpris par l'introduction du film. Les premières cases de l'œuvre papier sont quasiment reprises telles quelles et simplement animées. Vue aérienne de la mégalopole tokyoïte, et une mystérieuse explosion qui vient la dévaster. Sans aucune autre explication, le manga enchaînait sur le Neo-Tokyo qui s'y était reconstruit trois décennies après, focalisant sur ce cratère laissé à vif au milieu de ces tours gigantesques et futuristes. Sur ce domaine, Otomo joue la carte de la fidélité absolue, poussant même le vice à ne mettre aucune illustration sonore pour ces premières secondes de films. Que du visuel. Le reste est à suggérer, comme face à l'œuvre papier.

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Pourtant, dès la première scène, Otomo va d'ores et déjà faire une démonstration des choix qu'il estime nécessaire pour qu'une adaptation se montre à la hauteur de son œuvre originale. Alors que le manga se décide d'ouvrir dans le secteur interdit du cratère sur le raid d'une troupe de motards dont font parti les principaux protagonistes de l'histoire, le film préfère quant à lui ouvrir dans un vieux bar nauséabond des quartiers mal famés de Tokyo. Le bar est vide, dans un état de saleté et de vétusté indescriptible. Un drôle de gars y entre pour demander des amphets au comptoir pendant qu'à la télévision on insiste sur les troubles urbains et politiques suscités par des manifestations contestataires. Le lecteur d'Akira reconnaîtra sûrement le repaire que les fameux motards évoqués ci-dessus ont coutume de fréquenter. Mais ils pourront aussi s'étonner qu'il soit introduit immédiatement alors qu'il faut attendre un certain temps dans le manga. Cependant, on retrouve dès le départ le personnage principal, Kanéda, accoudé au juke-box au fond de la pièce. Il est immédiatement rejoint par un de ses acolytes, Yamagata, qui rentre en trombe. « Ils ont coincé la bande des clowns sur la voie express n°5 ». Kanéda réagit en donnant l'ordre d'attaque, mais il ne part pas sans lancer une chanson. Commence alors une poursuite endiablée entre les deux bandes rivales dans les rues de la moderne Tokyo.

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A bien y regarder, il y a dès cette première scène toute la nature du choix opéré par Otomo dans cette adaptation. Le manga s'était décidé en premier lieu à poser une atmosphère, cette ambiance pesante d'un univers post-apocalyptique. Ce n'est qu'après avoir posé cette ambiance, et après avoir lancé l'intrigue liée au mystère « Akira » que le manga faisait découvrir la ville et qu'il nous faisait progressivement découvrir ses mœurs. Le film lui insiste sur autre chose : certes il pose une atmosphère avec son cadre de bar mal famé, fréquenté par un junky et deux motards par très clairs, mais il focalise avant tout sur l'action. En effet, le film ouvre sur des manifestations en ville suggérées par les informations télévisées, et enchaîne directement avec des poursuites en motos qui ne surviennent que bien plus tard dans le manga. Otomo nous montre ici qu'il a parfaitement conscience du changement de rythme de narration qu'implique le passage au cinéma. Le début de l'intrigue dans le manga appelle à un rythme continu, celui de la lecture, celui qui permet à l'esprit d'imaginer et de mettre en place ce qui ne peut qu'être suggéré. L'intrigue du film, quant à elle, sait qu'elle peut compter sur la suggestion immédiate de l'image en mouvement et de sa coordination avec une bande son qui peut à la fois transmettre des informations mais aussi construire une atmosphère. Le film permettant un flux plus dense, Otomo préfère amorcer le tout par une scène d'action qui va tout de suite poser le spectateur dans le rythme de la narration. Le décor aura finalement été posé très rapidement : à la fois par le bar qui sera mis tout de suite en opposition au cadre de la ville moderne, ce qui suggère la fracture sociale ; mais aussi par l'émission télé qui pose une atmosphère conflictuelle avec les manifestations. Cette poursuite en moto dès l'intro n'aurait eu aucun sens dans le manga, de même que commencer dans les ruines de la vieille ville dans le film aurait été une perte de temps. Otomo trahit l'histoire originale pour mieux la restituer. Et ce type de démarche n'est qu'un début…

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Ce qui a disparu…

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A dire vrai, il serait possible de poursuivre notre étude du film de cette façon du début jusqu'à la fin, mais cela perdrait très vite de son intérêt et de son sens. L'essentiel est de constater qu'Otomo nous démontre bien qu'en soi ce n'est pas la suite des évènements qui est la plus importante dans l'histoire. L'évènementiel n'est qu'un outil pour transmettre une histoire, il peut donc être modifié selon les besoins car l'important n'est pas de ne pas trahir l'évènementiel, mais bien de ne pas trahir l'histoire en son fond. Pour preuve, on pourra s'intéresser au fait qu'Otomo ne se soit pas limité qu'à ce genre de modifications, c'est-à-dire des inversions et compactages comme on vient de le voir pour ce qui est de la scène d'introduction. Sur un plan plus global, Otomo est allé plus loin. Il n'a fait que modifier, il s'est aussi permis de supprimer des pends considérables de son histoire, passant sous silence des tomes entiers. Or, ce qui est très intéressant, c'est que les passages supprimés ne sont pas parmi les plus anodins. Certains évènements pourtant charnières de l'intrigue dans le manga ne se retrouvent plus du tout dans le film.

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Il serait possible, une fois de plus, de rentrer dans le détail de ce genre de suppression mais le but de cet article n'est pas de faire un inventaire. A dire vrai, il suffit de se limiter au choix le plus marquant qu'a pris Otomo dans son film pour comprendre le sens de sa démarche. Ceux qui auront lu le manga et vus le film ont certainement déjà en tête ce changement de taille que cet article s'apprête à évoquer. Pour ceux qui n'auraient pas lu l'œuvre originale, il est avant tout bon de préciser que dans le manga, l'histoire est segmentée en deux parties de taille égale. La première partie se déroule dans la mégapole ultramoderne de Neo-Tokyo. Un groupe de jeunes motards y est, malgré lui, mêlé à une histoire d'expériences militaires que l'on mène sur des enfants. Ces expériences semblent être liées à l'apocalypse survenue trente ans plus tôt sur la ville, apocalypse dont l'origine est attribuée à un mystérieux Akira. C'est finalement la recherche et la découverte d'Akira qui est le ressort de l'intrigue de cette première partie. Mais un évènement survient en plein milieu de l'histoire qui bouleverse totalement la donne. Le réveil d'Akira suscite une nouvelle apocalypse qui détruit à nouveau Tokyo. La ville et sa population sont plongées à nouveau à l'âge de pierre. Commence dès lors une seconde partie qui prend pour théâtre cette Tokyo dévastée. Que reste-t-il de cette articulation de base du manga dans le film ? La surprise est là : la deuxième partie a littéralement disparue ! Pas de Tokyo dévasté. Otomo a shunté la deuxième partie pour raccorder directement la fin du tome 2 (nouvelle édition Glénat – tome 11 de la première édition) à la fin du tome 6 (tome 31 de la première édition). Bref, une bonne moitié de l'histoire originale a sauté et la structure évènementielle de base a totalement été reconstruite. Pourquoi un tel choix, et quelle est sa conséquence sur le rapport qui s'établi entre l'œuvre adapté et l'adaptation.

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La première question logique qui nous vient effectivement à l'esprit c'est tout d'abord : « pourquoi ? ». A lire le manga, cette division de l'histoire en deux temps apparaît comme essentielle car elle sert de support au discours sous-jacent d'Akira. Dans la première partie,  cet univers ultramoderne nous est présenté comme une illusion d'évolution. Certes, d'un point de vue technique, l'Homme ne cesse de repousser les limites de son savoir, ne cesse d'améliorer son confort de vie, mais d'un point de vue spirituel, l'Homme n'a guère évolué. Preuve en est la deuxième partie du manga : lorsqu'on lui retire son cadre moderne, son confort, l'Homme retourne à l'état d'animal, sans valeur et sans principe, simplement guidé par ses pulsions. Cette division en deux temps de l'intrigue d'Akira semblait donc essentielle et inamovible, car elle permet d'ouvrir sur ce qu'Otomo a défini comme le cœur de son histoire : la recherche de l'évolution réelle, celle qui n'est pas qu'illusion matérielle, celle qui fait vraiment avancer l'Homme et donne un sens à toute chose. Eh bien pourtant l'auteur a décidé de rompre avec cette structure discursive. S'il ne dispose plus de toute cette partie de retour à l'âge de pierre qui lui sert à démontrer à quel point la modernité n'est qu'une illusion d'évolution, comment Otomo peut-il encore espérer ouvrir le spectateur à sa conclusion métaphysique ?

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Certes, par un tel choix, Otomo semble dès le départ fermer au film une porte que le manga permettait d'ouvrir. Mais à bien y réfléchir, comment aurait-on pu scénariser dans un film de seulement deux heures, cette histoire en deux parties ? Cela aurait impliqué qu'une première heure eut été consacrée à la quête d'Akira et aux expériences menées autour de ce projet scientifique, et qu'une deuxième heure se serait elle portée sur le chaos post-apocalyptique d'une Tokyo totalement dévastée. Une heure pour chaque partie peut sembler raisonnable dans un premier temps pour un tel projet, même si on se dit qu'on va devoir aller à l'essentiel. Pourtant, à bien y réfléchir, on oublie des éléments. Sur ces deux heures, il aurait fallu retrancher un bon quart d'heure d'introduction, indispensable pour mettre en place l'atmosphère et l'intrigue d'Akira. De même, il aurait fallu retrancher la scène de fin, qui se doit quand même de conserver une véritable consistance sinon le film n'a plus lieu d'être. Enfin, il aurait fallu aussi ménager un temps supplémentaire pour amener l'apocalypse du milieu sans quoi elle ne saurait être comprise, et que dès lors, il aurait également fallu ménager un temps pour poser l'atmosphère de la capitale désormais dévastée et la nouvelle tournure de l'intrigue.

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Bref, à bien y réfléchir, si Otomo s'était efforcé de faire tenir l'essentiel de sa trame événementielle dans son film, il aurait été contraint de sacrifier beaucoup d'éléments relatifs à l'atmosphère ou à l'intrigue : il aurait été obligé de reprendre des évènements qui, déchargés de tout leur sens, auraient perdus toute leur portée. Le film n'aurait été alors qu'une coquille vide que seuls les lecteurs du manga auraient su remplir avec leurs connaissances de l'œuvre originale. Ces derniers n'auraient finalement rien trouvé de plus dans le film qu'ils n'avaient eu dans le manga. Et quant aux autres, ils n'auraient pas compris comment ce vulgaire enchaînement de courses, d'explosions, et de violences ait pu susciter autant de succès. En somme, une telle adaptation, frileuse dans sa démarche, n'aurait eu aucune raison d'être puisqu'elle n'aurait rien apporté de plus à Akira, bien au contraire. Quitte donc à ne pas pouvoir ouvrir les mêmes portes que le manga, Otomo a estimé préférable d'en ouvrir d'autres, et de préférence des portes que le manga, par son statut d'œuvre de papier, n'aurait pas su ouvrir. Akira le film est donc une adaptation qui ne se contente pas simplement de changer de format – du papier à la pellicule - mais bien de porter un autre regard sur la même œuvre, sur la même histoire. Ainsi, le film Akira ne se contente pas de modifier ou de supprimer ce qui se trouvait dans le manga, il fait aussi apparaître des choses nouvelles. Dès lors, l'adaptation devient tout de suite plus intrigante et captivante à la fois.

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Ce qui est apparu…

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A dire vrai, ces éléments nouveaux ne surprennent pas forcément à première vue, car ils sont clairement dans l'esprit de l'œuvre originale et, qui plus est, ils sont incérés au beau milieu d'éléments déjà préexistants. Pourtant ils sont assez nombreux et plutôt bien disséminés dans le film.

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Le premier de ces éléments que l'on pourrait noter dans un premier temps, c'est la place qu'occupent les scènes de manifestation et contestation dans ce film. Elles sont récurrentes dans le film et la plupart, voire aucune, n'existait dans le manga original. Elles ont toutes été des ajouts à l'intrigue. Dès l'introduction déjà, on l'avait noté, on retrouve les informations télévisées qui nous parlent de ces émeutes urbaines qui enflamment la ville. Ces émeutes reviennent très vite puisqu'un élément constitutif du lancement de l'intrigue – l'évasion du mystérieux Takashi – est elle-même insérée dans l'une de ses émeutes. Cette émeute n'était pas présente dans le manga. La fuite de Takashi se faisait dans les rues presque désertes des quartiers mal famés de Tokyo. Pourtant, dans le film, c'est l'émeute qui devient le cadre de cette fuite. A dire vrai, l'émeute est carrément le cadre récurrent de cette introduction puisque, entre l'introduction qui l'évoque par le biais du journal télévisé, puis le règlement de compte entre motards que les gens de la ville associe au climat actuel de rébellion étudiante, et enfin cette scène de l'évasion de Takashi, l'émeute est omniprésente.

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L'introduction est un exemple que l'on pourrait transposer à la conclusion. A la fin aussi, lorsque Tetsuo part à la rencontre d'Akira pour le libérer, le film mêle aussi la manifestation à cet évènement. Là encore, dans le manga, la foule n'était pas associé à la libération d'Akira. Il s'agit donc encore d'un ajout supplémentaire. L'émeute est donc étroitement associée au début et à la fin du film, et elle revient avec récurrence et à plusieurs reprises entre ces deux extrêmes. On pourrait citer la tension latente que l'on retrouve lors de la garde à vue des motards vers le début du film, moment où Kanéda rencontre Kei. En effet, dans un premier temps, un homme y sortira une grenade au nom de la révolution puis, dans un deuxième temps, une explosion retentira dans le bâtiment de police alors que les protagonistes venaient d'en sortir. De même, Kanéda et Kei se retrouveront à nouveau suite à un attentat en plein centre commercial, attentat qui – une fois de plus – n'existait pas dans le manga original. Bref, il y a bien là un aspect sur lequel Otomo entend insister particulièrement dans son film alors qu'il n'était que sous-entendu dans son manga.

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C'est qu'au fond, la présence récurrente de l'émeute, de la violence, et au travers de ces dernières de la contestation, un visage de la mégapole tokyoïte est mis en avant. Ce visage, c'est celui de la futilité et de la vacuité. La prospérité et le progrès affichés par l'image est contrebalancé par l'aigreur du discours. Même des représentants de l'ordre comme le colonel et le professeur reconnaissent un moment qu'on ne peut rester attacher à cette métropole pourrie. Même les politiques, à travers l'image de Nézu, décrivent la métropole comme un fruit trop mûr prêt à tomber quand soufflera le vent d'Akira. La vacuité de la modernité : c'était là la démonstration en deux temps que menait le manga entre un avant et un après apocalypse. En somme, en accentuant le caractère de contestation latente présent dans cette mégapole, Otomo cherche à mettre en évidence le dégoût profond qu'elle suscite. Notons d'ailleurs que, dans le même état d'esprit, on retrouve aussi la mise en avant de sectes et autres groupuscules religieux en mal de spiritualité. Ainsi a-t-il certainement cherché à compenser la perte de la partie post-apocalyptique présente dans l'œuvre originale. La forme a été bouleversée pour sauvegarder le fond. Mieux encore, c'est qu'avec ces deux choix d'intrigue différents – celui du manga et celui du film – nous voila enrichis d'un angle de vision supplémentaire qui nous permet de donner du relief au sens profond de la démarche de l'auteur.

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Mais cet ajout de l'émeute, bien qu'il soit majeur, n'est pas le seul à avoir été opéré pour ce film. Le personnage éponyme lui-même, Akira, n'est pas sorti inchangé de ce jeu d'ajouts/suppressions. En effet, là aussi, on retrouve des éléments de l'intrigue qui concerne la nature même d'Akira et qui étaient totalement absents du manga original. Dans le film en effet, Akira est présenté sous forme de fioles, dans lesquels se trouvent des sortes d'amibes plus ou moins développées. Le colonel présente alors Akira d'une manière qui nous laisse nous questionner sur sa véritable nature. Il est dit que ces fioles contiennent le résultats des expériences obtenues après « l'ultime métamorphose » d'Akira. Mais on nous dit aussi que ces fioles ne sont pas un état « fini » d'Akira, puisque vraisemblablement, les scientifiques se sont arrêtés là où leurs connaissances étaient dépassées par l'expérience menée. Akira n'est donc, dans le film, qu'une série de fioles. Nul doute que tout lecteur du manga original aura été surpris par cette révélation dans la mesure où rien de tout cela n'était présent dans la version papier.

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Dans le film, il faut attendre la « dissolution » de Tetsuo en nébuleuse d'énergie pure pour qu'Akira nous soit présenté autrement que sous forme d'amibes. Alors, les fioles se cassent et du nuage de vapeur provoqué apparaît le visage du jeune enfant que tout lecteur du manga connaît pour être Akira. C'est qu'à l'origine, dans la version papier, il n'était pas question d'autant d'ambiguïté sur la nature du personnage éponyme de l'œuvre d'Otomo. A la fin du tome 2 (tome 10 de la première édition), le Akira qui est libéré de sa chambre d'hibernation par Tetsuo n'est pas une série de fioles dont la nature nous échappe, mais bien un petit garçon fait de chair et de sang. Jamais dans tout le déroulement du manga il n'est suggéré qu'Akira n'est autre chose qu'un garçon qui eu accès à un immense pouvoir. Quel est donc le sens de cet ajout ? Pourquoi Otomo prend-il le temps dans un film où le temps lui est justement compté de s'étendre ainsi sur la nature d'Akira alors qu'il ne l'a pas fait dans un manga où il disposait de tout le temps nécessaire pour cela ?

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On pourrait se dire tout simplement qu'il y a là une volonté de l'auteur de compléter un discours qui n'avait été qu'étayé dans le manga. Un tel raisonnement a sa logique mais il est incohérent par rapport au changement qui a été opéré. Ici, l'ajout apporte plus de flou qu'il n'apporte de clarté. Là encore, on peut se dire que la vraie raison de ce changement réside dans la nécessité qu'aurait trouvé Otomo de ne pas perdre l'essence de son propos dans l'adaptation. Car, à bien y réfléchir, qu'aurait été Akira dans le film sans cet ajout ? Si on caricature, la réponse serait qu'Akira n'est qu'un gamin mutique qui fait des grosses bulles de lumières qui tuent des gens. Certes, celui qui a lu le manga à un rapport au personnage d'Akira totalement différent. Dans le manga, sa découverte se fait à la fin du tome 2 : il reste alors 4 tomes durant lesquels le personnage va pouvoir être appréhendé. Il le sera dans un premier temps lors de la seconde apocalypse qu'il provoque à la fin du tome 3 (tome 16 de la première édition), mais il le sera aussi et surtout lorsque Tetsuo s'efforcera de pénétrer son esprit et sa façon d'être. Dès lors, la personnalité d'Akira se dévoilera indirectement au lecteur à travers l'évolution du personnage de Tetsuo. En somme, si on y prend bien garde, on se rend compte, au fil de la lecture, qu'Akira n'est finalement pas un personnage en soi, mais bien un concept, une idée autour de laquelle les véritables personnages de l'histoire convergent.

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Dans le film, le personnage d'Akira n'apparaît vraiment qu'à la toute fin. On ne va plus loin que ce qu'on perçoit de lui au tome 2. En somme, la symbolisation d'Akira n'a pas vraiment de quoi s'opérer. Toute la démarche du manga tombe à l'eau. L'ajout qu'a donc opéré Otomo de cette nature amibienne et ambiguë d'Akira pourrait dès lors être perçue comme une réponse à cette lacune. Akira n'est finalement jamais vraiment personnifié : il reste au statut d'idée. A écouter le discours du colonel, on pourrait même percevoir Akira comme de l'énergie qu'on a essayé de matérialiser, bref comme une idée qui a pris corps. On aperçoit le visage de l'enfant Akira sur la fin, mais il n'apparaît jamais comme un enfant matériel, qu'on peut toucher. Ainsi, à défaut d'apporter la même clarté sur la nature d'Akira qu'avait pu le faire le manga, le film parvient en retour à préserver l'essence symbolique du personnage. Cette déficience qu'a le film au niveau du personnage d'Akira, il va chercher à la compenser par les ajouts qui ont été opérés dans la séquence finale d'apocalypse.

En effet, et c'est probablement le dernier domaine sur lequel le film créer des éléments d'intrigue qui n'étaient pas présents dans l'œuvre originale, c'est celui de la scène finale. Pour le coup, c'est le film qui vient ici se faire plus clair que le manga. Dans le manga, la fin se veut assez ambiguë. Tetsuo et Akira se dissolvent tous deux en boule d'énergie, concrétisant ainsi une certaine forme de l'accomplissement humain (discours que nous étudierons plus en détail dans la prochaine partie). La mégapole est ainsi épargnée et la menace Akira dissoute.  Mais cependant – et c'est là finalement tout le sel de ce manga – les choses ne redeviennent pas comme avant. L'ordre et le progrès matériel, symbolisé par le débarquement américain, ne vont pas pour autant faire à nouveau force de loi à Tokyo. La troupe de Kanéda et les autres ont bien l'intention de reconstruire la ville à leur manière selon leurs règles, car « Akira vit encore en chacun d'eux » proclameront-ils haut et fort à l'envahisseur. Le manga clôt donc son discours par un appel à l'alternative sociale. Le film, quant à lui, préfère adopter un  chemin sensiblement différent.

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Alors qu'on avait noté que, jusqu'à présent, le film avait renforcé son caractère social par rapport au manga avec l'ajout récurrent de l'émeute et de la contestation, il en est tout autre pour ce qui est de la fin. Sûrement par un souci d'équilibrage, le film focalise plus sur le côté métaphysique que le manga sur son final. Et cela, il l'opère au travers d'une scène supplémentaire, qui n'était pas présente dans le manga mais qui conclut pourtant le film d'animation. Alors que, dans le manga, Tetsuo et Akira se contentaient de disparaître en boule d'énergie pure – sans conséquence annoncée – dans le film cet évènement est à la base de la création d'un nouvel univers. L'idée que le dépassement de leur condition d'humain chez Akira et Tetsuo conduisait à une renaissance cosmique n'est pas réellement implicite dans le manga. Certes, il y a dans le discours de Miyako, et dans la figure fœtal que prendra Tetsuo lors de sa mutation, l'idée suggérée que l'Homme, dans son chemin vers l'énergie pure, contribue à la perpétuation d'une œuvre universelle qui nous dépasserait tous. Cependant, jamais elle n'est concrètement explicitée par l'évocation de la naissance d'un nouvel univers. Encore une fois, pourquoi un tel ajout ? Trahit-il ou déforme-t-il l'esprit de l'œuvre originale ?

 

A dire vrai, une fois de plus, on peut penser qu'il s'agit là d'une pirouette d'Otomo pour transmettre le même souffle que le manga, mais d'une autre manière. Reprendre en soi la fin du manga est impossible : la phase de chaos dans la mégapole dévastée a été supprimée et le personnage d'Akira n'a pas été assez suffisamment développé pour qu'une telle fin prenne un sens. De même, se contenter de faire sauter Tokyo en débouchant sur rien derrière laisserait ce film en pont d'Avignon, laissant le spectateur sur sa faim, ou sur son incompréhension. Avec son final en renaissance cosmique, le film parvient à ouvrir sur plusieurs idées. Tout d'abord, elle concrétise le discours mis en place tout le long du film sur le rejet du matérialisme et sur la quête de l'essence réelle de l'évolution. L'Homme n'est pas mu par le progrès matériel mais bien par une forme de progrès qui dépasse sa propre condition matérielle. Ainsi, on peut dire que cette fin mystique, déconnectée de tout courant religieux préexistant, respecte pleinement la même démarche universalisante du manga original. Ensuite, cette renaissance cosmique permet de compenser la faiblesse de sens qu'avait Akira. Défini dans le film comme de l'énergie qui devient matière, comme de l'idée qui devient du concret, il prend tout son sens dans l'idée que l'esprit humain, celui de Tetsuo en l'occurrence, soit le générateur d'un nouvel univers en son entier. Or, là encore, on touche à une vision de misanthropie « humanocentriste » qui s'ancre parfaitement dans l'esprit du manga originel.

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Au final d'ailleurs, et pour m'exprimer à titre personnel sur cette fin, je la trouve plus efficace que celle du manga étant donné ses objectifs discursifs. Cependant, il faut bien reconnaître que les comparaisons d'ordre qualitatif entre le manga et le film sont un exercice assez difficile tant finalement, chacun de leur côté, ces deux versions de la même histoire explorent des aspects au fond assez différents. C'est d'ailleurs à ce niveau que l'adaptation devient en soi intéressante, c'est qu'elle n'est pas qu'une simple traduction de l'œuvre originale, elle est ici un regard nouveau porté sur l'univers et la logique qui habite cet Akira, ce qui nous permet dès lors de les appréhender sous un angle des plus enrichissants. Or, c'est peu dire qu'un nouvel angle d'approche sur une œuvre aussi complexe qu'Akira n'est pas le mauvais venu, car cette œuvre des années 80 possède une profondeur discursive des plus intéressantes et – de plus – souvent mésestimée.

 

 

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