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23 avril 2009 4 23 /04 /avril /2009 21:09

La semaine dernière, je suis allé voir Erreur de la banque en votre faveur. Ceux qui l'ont vu savent qu'en disant cela j'ai déjà tout dit. Certains pourraient d'ailleurs me poser la question fatidique : « mais pourquoi ? » Eh oui ! - c'est vrai que pour quelqu'un qui a tant d'antipathie pour ce genre de cinéma, on pourrait s'étonner que je me risque encore à me jeter ainsi dans la gueule du loup. Mais c'est toujours la même chose : je vois ce film sortir en salles, tandis que fleurissent ça et là des critiques plutôt flatteuses que ce soit dans la presse qu'au sein de mon entourage. Alors je me dis qu'il serait bénéfique que pour de bon je cesse de stigmatiser notre cher cinéma national et me risque enfin à prendre du plaisir face à une bonne comédie sociale ou « comédie de murs » (comme on aime ici à les appeler). Et face à l'écran, le constat reste pourtant immuable : la consternation. Mais comment est-ce possible ? Comment autant de spectateurs peuvent-ils rester à ce point aveugles et conditionnés par ce cinéma qui n'est en rien ce qu'on prétend être ? J'y vais fort, me diriez-vous. Pourtant, à bien décortiquer ce qu'est le cinéma hexagonal de nos jours, on comprendra à quel point celui-ci est totalement vain pire ! qu'il exprime à lui-seul une réelle crise culturelle que connait aujourd'hui notre chère contrée. Je l'avais déjà dit dans mon précédent article sur le cinéma populaire américain : la vraie crise est la crise des esprits. Celle de la France transparait de son cinéma.

     Wild Bunch Distribution     StudioCanal     StudioCanal

Alors certes et heureusement ! si l'on prend l'ensemble des productions françaises de cette dernière année, on constatera quelques rares satisfactions. Pour ma part, J'ai toujours rêvé d'être un gangster ; Le premier jour du reste de ta vie ; ou bien encore Deux jours à tuer se sont avérées être de véritables bons moments. Cette semaine, on pourrait même rajouter à la liste OSS 117, Rio ne répond plus qui est enfin ! une comédie française à la hauteur des exigences qu'on est en droit d'avoir. Mais pour le reste ? Qu'en est-il du reste du cinéma français ? Lui qui se targue d'être l'un des seuls à être encore roi dans son pays face à l'ogre américain ? Lui qui se targue d'être à l'origine d'à peu près deux cents productions encore l'année dernière ? Que reste-t-il aussi de ce cinéma primé, récompensé, et mis en avant, par cette académie qui s'est d'ailleurs permis l'audace de bouder les trois films précités ?  Certes, on pourra dire qu'entre Coco et Un conte de Noël il y a une diversité qui fait qu'on ne pourra pas traiter l'ensemble de ce cinéma au travers d'un seul et même prisme. Et pourtant Encore une fois, le seul but de cet article, comme du précédent du même genre, n'est pas d'imposer une vérité jugée absolue sur le cinéma français. Le seul objectif est de vous offrir seulement un autre regard possible sur ce cinéma ; vous faire prendre, l'espace d'un instant, du recul sur ce cinéma qu'est celui de la France. Certes, cette simili-diatribe pourra vous sembler bien caricaturale, mais son véritable objectif sera de vous amener à vous questionner si, au final, ce semblant de caricature est si loin de la réalité

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Le mensonge d'un cinéma faussement social

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Ah ça ! Nul doute que face à l'actuelle crise qui se présente à nous, une bonne partie de notre cher cinéma français va se sentir investi d'une sainte mission d'utilité sociale ! C'est qu'il y a toujours eu cette prétention mise souvent sur le devant de la scène, que le cinéma français se devait de ne pas se contenter « seulement » de faire du cinéma. Qu'ils sont nombreux à présenter leurs films comme des « comédies sociales » ou bien encore des « comédies de murs », qu'il s'agisse de Cliente ou bien encore du Code à changé. A croire qu'il est dégradant, ou tout simplement pas du ressort d'un tel cinéma comme celui de la France de se limiter à une comédie tout simple ou à un spectacle purement distractif. Le cinéma, même celui qui nourrit les plus faibles prétentions, se sent toujours obligé de s'inscrire dans une démarche socialisante ou utilitariste, comme si c'était une exigence sine qua none pour prétendre faire du cinéma « à la française » (Note. Car oui, il arrive malheureusement à certaines productions françaises d'être péjorativement qualifié de film « à l'américaine », comme ce fut le cas de J'ai toujours rêvé d'être un gangster, ce qui est visiblement à prendre  comme étant un qualificatif dépréciatif). Mais ce qui choque vraiment en tant de crise, c'est qu'au fond les films français ont tous plus ou moins l'image d'un cinéma engagé alors qu'à bien y regarder concrètement, il n'y a rien de social là-dedans ! Bien au contraire ! Au lieu de films sociaux, on a clairement à faire à des films majoritairement bling-bling ! Le nombre d'exemples présents dans les grosses productions de la dernière année écoulée est d'ailleurs à ce sujet autant éloquent qu'effarant 

     Gérard Lanvin. Wild Bunch Distribution   Nathalie Baye. Gaumont Distribution   Blanca Li et Patrick Chesnais. Luc Roux

Prenons pour commencer le seul exemple qui est à l'origine de cet article : Erreur de la banque en votre faveur. Il est vrai que du premier coup d'il, cette histoire de gentil prolo qui profite des délits d'initiés de ses voyous de patrons-banquiers donne à ce film des allures de fresque sociale. C'est qu'en plus il en fait profiter son entourage ! Le charmant Gérard Lanvin, sous ses airs bourrus, aide le modeste Jean-Pierre Darroussin à monter son restaurant ; il aide aussi son voisin de palier à payer la maison de retraite de sa mère ; il aide enfin les gentilles petites familles pauvres sans qui elles ne seraient rien Bref, voilà un film qui se plairait presque à se présenter comme révolutionnaire tant il semble prôner la répartition des richesses en faveur de ceux qui en ont réellement besoin !  Et pourtant pour ceux qui ont vu la fin quel retournement de situation consensuel qui, au final, ne se limite qu'à une simple démagogie populaire, où il n'est pas question de remettre en cause le système mais seulement la façon dont on l'exploite. Le film tourne en fait autour d'un seul ressort : la soif de l'or. Or, quel frustration de se dire qu'au final, nos chers cinéastes prétendent satisfaire les spectateurs non pas en les questionnant sur leur société, mais en se limitant simplement à les faire fantasmer sur un gros paquet de billets qu'ils n'auront jamais, ainsi que sur le style de vie qui va avec.

   Jean-Pierre Darroussin. Wild Bunch Distribution   Eric Naggar, Roger van Hool et Philippe Magnan. Wild Bunch Distribution  Gérard Lanvin et Jean-Pierre Darroussin. Wild Bunch Distribution

C'est cela la recette du cinéma prétendument populo-social de notre cher cinéma hexagonal. Ce n'est pas un cinéma pleinement ancré dans les questions de société, c'est un cinéma qui se contente d'amadouer le petit peuple en le faisant fantasmer sur ce qu'il n'a pas. Et ce n'est pas qu'un seul exemple qui suffira à faire force de loi : les exemples sont en fait multiples ! Combien de films cette année ont d'ailleurs traité de petites gens qu'on plongeait dans le luxe outrancier de la mass-money ? Si on fait le compte, il y a en un paquet ! Car, au fond, quel était le sujet des Randonneurs à Saint-Tropez ? Ne s'agissait-il pas justement de montrer pendant deux heures des gens ordinaires exposés au monde exubérant des gros riches ? Et v'là que je te mets plein de grosses voitures de luxe sous le nez, des gros yachts, des sublimes villas, des filles de magazines prêtes à coucher sur commande pour les gens qui font justement partie de ce monde de privilégiés ! Et quels sont les ressorts comiques de ce film ? Benoit Poelvoorde qui laisse payer une addition énorme à ses amis qui n'ont pas les moyens ! Ha ! Ha ! Karin Viard qui finit saoule à force de trop boire du champagne de luxe ! Hi ! Hi ! Ou bien encore tout ce petit monde qui se baigne au beau milieu de la mer en oubliant de mettre l'échelle pour remonter dans leur yacht de riches ! Ho ! Ho ! Et on finit tout cela avec une morale bien douteuse, en apprenant que l'ami Poelvoorde était un escroc, qu'il était un paria dans ce monde, et que finalement toutes ces vacances s'étaient plus ou moins construites sur un mensonge Mais quel mensonge au final ? Nos chers randonneurs sont-ils écurés d'avoir vécus comme des privilégiés ? Remettent-ils en cause ce monde de débauche, de démonstration, de strass et de paillettes pour lesquels les gens ordinaires les admiraient du bas du quai ? Bien sûr que non ! Tout le ressort du film ne reposait que sur le seul plaisir de voir de la richesse et de s'évader l'espace d'un instant dans cet univers bling-bling. En est-il autrement pour Gad Elmaleh et Audrey Tautou dans Hors de Prix ? Ne retrouvent pas cet attrait de l'argent facile et la quête de la richesse comme unique fin en soi dans le Ca$h d'Eric Besnard. Et l'année précédente, ne nous a-t-on déjà pas fait le coup avec Quatre étoiles ? Et l'année encore d'avant avec les Bronzés 3 ? Et ne sommes-nous pas encore en train de nous refaire le coup avec le dernier Coco de Gad Elmaleh ?

     Karin Viard et Benoît Poelvoorde. TFM Distribution   Gad Elmaleh et Audrey Tautou. TFM Distribution   Jean Dujardin. TFM Distribution

C'est un fait : un des thèmes récurrents de la comédie populaire française ces dernières années était l'amour de la société bling-bling. Notre cher président, à qui l'on reproche tous les maux, n'en a été finalement qu'un symbole plutôt qu'un instigateur, puisque même le cinéma français traduisait au travers de ses productions cette mouvance sociale vers la valorisation du capitalisme pur. Le voilà le fameux cinéma « social » français. Il ne faut pas se leurrer. Il est social non pas par sa capacité à analyser la société et la présenter au travers du regard extérieur de l'artiste. Au contraire ! Il est seulement social par sa qualité à suivre la mouvance d'une société qui sombre, et sans que celui-ci soit capable pour autant d'y prendre le moindre recul. Mais je vois déjà les contre-arguments venir et à raison ! Doit-on limiter les productions françaises à ces seuls exemples formatés ? Doit-on limiter le cinéma français à ces grosses productions qui, même si elles représentent à elles seules une partie importante des recettes hexagonales, n'en sont pas forcément les réelles représentantes du véritable « esprit français du cinéma » ? Il est vrai. Il est vrai qu'il existe un autre cinéma français. Comme il était déjà dit plus haut, on est en droit de prétendre qu'un Coco et un Conte de Noël ne répondent pas à la même idée que l'on se fait du cinéma français. Pourtant, même ces films dit « d'auteur » à la française incarnent eux aussi une réelle crise intellectuelle et sociale qui a de quoi alarmer

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Le cinéma d'auteur à la française, ou la pure expression du cinéma embourgeoisé jusqu'à l'os.

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Si ce n'est pas dans les films qui font recette qu'il faut chercher ceux qui incarnent la vraie quintessence du cinéma français actuel, alors peut-être faut-il se tourner du côté de ceux qu'on présente comme en étant les grandes figures : les Etienne Chatiliez, les Emma Thompson, les Claude Miller, les Alain Resnais, les Arnaud Desplechin ou bien encore même les Agnès Jaoui (Que de talents en devenir soit dit en passant !) Bref, faut-il se tourner vers tous ceux qu'on retrouve généralement endimanchés dans ce froid théâtre du Chatelet qui accueille annuellement cette cérémonie de récompenses académiques que sont les César ? Il est vrai que leurs derniers films, ceux qu'on qualifie justement de films « d'auteurs », semblent effectivement déconnectés de toute cette logique populiste d'amadouement bling-bling et de racolages démagogiques. Prenez les fameux Séraphine, Un conte de Noël, ou bien encore Parlez-moi de la pluie, et on se rendra effectivement compte qu'il y a une volonté réelle d'aborder des sujets de société avec des regards distanciés. Regard sur les préjugés sociaux pour Séraphine, sur les préjugés sexuels et raciaux dans Parlez-moi de la pluie ou bien encore regard sur les relations sociales dans Entre les murs, voire même familiales dans Un Conte de Noël Voilà, vous diront certains, la véritable quintessence du cinéma dit « social » ou bien de ce qu'on appelle la « comédie de murs » Ce cinéma pense ainsi pouvoir se targuer, émancipé qu'il se croit des enjeux commerciaux, de montrer et de parler du monde tel qu'il est, de la société d'aujourd'hui. Bref, ce cinéma construit concrètement sa notoriété artistique sur cet engagement concret qu'il a dans la société actuelle. Que l'utilité sociale fasse la qualité de l'art est déjà en soi une question qui mérite d'être discutée Mais encore faudrait-il déjà s'accorder sur le fait que les préoccupations du cinéma français soient réellement ancrées avec celle de la société actuelle

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A partir du principe que le cinéma d'auteur français révèle et expose les réels enjeux sociaux d'aujourd'hui, quels seraient-ils d'après les derniers films sortis dans nos salles ? D'après Arnaud Desplechin, un sujet qui mérite encore aujourd'hui qu'on se penche dessus reste la famille. Cellule sociale de base, la famille et les liens complexes et ambigus qu'elle tisse entre les individus, constituent le socle de ce Conte de Noël dont on prédisait d'ailleurs qu'il emporterait la Palme d'or puis le César (pour finalement ne remporter ni l'une ni l'autre). C'est vrai que voila un film qui semble pleinement ancré dans les mailles serrées de notre société actuelle. Au cur d'un décor inhabituel, Roubaix, Arnaud Desplechin s'efforce de construire autour d'une famille de classe moyenne une galerie d'individus torturés et complexes. Mais voilà que, au-delà de la qualité intrinsèque du film, un drôle de constat s'impose : c'est de remarquer à quel point la famille de la classe moyenne roubaisienne est perçue par Desplechin comme un banal copier-coller d'une famille bourgeoise des quartiers huppés de Paris. Tout y est : le même langage, les mêmes murs, les mêmes interdits relationnels. Au final, sans qu'il soit ici sujet de la sincérité de la démarche de l'auteur, on reste subjugué par l'incapacité ou la maladresse de Desplechin à ramener toutes les préoccupations d'une société à celles du milieu bourgeois parisien. Ce décalage étrange entre ce que le film est et ce qu'il prétend être produit finalement le même effet que pourrait produire n'importe quel autre amalgame : celui d'un manque de connaissance sur le sujet

    Mathieu Amalric, Catherine Deneuve et Jean-Paul Roussillon. JC Lother / Why Not Productions Jean-Paul Roussillon, Emile Berling, Chiara Mastroianni, Thomas Obled et Clément Obled. JC Lother / Why Not Productions Mathieu Amalric. JC Lother / Why Not Productions

Que le cinéma d'auteur français se résume au final à un cinéma exclusivement bourgeois n'est malheureusement pas tant caricatural que cela. Il suffit de regarder les dernières productions de ce genre pour s'en convaincre. Regarder les préoccupations sociales qui ressortent du dernier Agnès Jaoui nous le démontre encore. On nous parle des déboires d'une femme à devenir un candidat aussi crédible qu'un homme, ou bien encore d'un Arabe à devenir un réalisateur aussi crédible qu'un Français « de souche ». Bref, on nous parle d'une question qui, certes, est pleinement d'actualité en ce qui concerne les difficultés culturelles à appliquer concrètement un idéal qui semble acquis, mais qui néanmoins est pleinement ancrée dans l'univers des mondanités bourgeoises : le politique et le cinéma (Note : deux univers qui, paradoxalement, ne devraient pas en théorie relever que du monde bourgeois, bien qu'il le soit dans les faits). C'est le cas aussi du récent Bal des actrices de Maïwenn qui ne sait parler du statut de la femme qu'au travers du cadre très particulier du sérail des actrices, sans parvenir réellement parfois à sortir des spécificités de ce monde. Par bien des points d'ailleurs, cette démarche de Maïwenn ressemble à celle d'Emma Thompson qui elle aussi s'intéresse à cette question essentielle qu'est le sens que l'on donne à son existence au travers de différents acteurs et gens du spectacle qui occupent ses Fauteuils d'orchestre. Les voilà les réelles préoccupations du monde actuel telles que les perçoivent les films d'auteurs en France Tout tourne toujours autour de ces questions fatidiques que sont le souci de trouver sa place, de trouver la reconnaissance, ou bien encore de parvenir à combler cette sensation qu'il nous manque quelque chose alors que l'on pense avoir tout accompli Bref, voila clairement un cinéma qui se pose les mêmes questions qu'un public aisé, confortablement installé dans la société, et dont les ressentiments peuvent effectivement concorder avec celles des productions d'auteurs précités Le terme peut choquer, bien qu'il n'ait rien de péjoratif en soi, mais il s'agit bien là, ni plus ni moins, que d'un cinéma bourgeois.

   Jean-Pierre Bacri et Jamel Debbouze. StudioCanalLinh Dan Pham, Mélanie Doutey, Maïwenn, Julie Depardieu et Jeanne Balibar. SND Cécile de France et Albert Dupontel. Mars Distribution

Alors bien évidemment, j'en perçois déjà quelques-uns pester face à une telle lecture des choses. Certains, vexés de se sentir qualifiés de spectateurs bourgeois, notifieront sûrement qu'il peut être bien dépréciatif à l'égard des masses populaires qu'on puisse imaginer que les préoccupations citées ci-dessus leur soient totalement étrangères. Certes, ils n'auraient pas forcément tort, même si on serait en droit de supposer que l'expression de tels sentiments s'y ferait sous une forme bien différente que celle systématiquement mise en évidence dans le cinéma d'auteur français. C'est à ce titre qu'il me semble que notre cinéma mérite indéniablement le qualificatif de cinéma bourgeois. A cela, on pourrait d'ailleurs aussi réagir de la manière suivante : « OK, il existe un cinéma bourgeois en France. Et alors ? Où est le mal ? » C'est vrai qu'il n'a aucun mal à faire du cinéma bourgeois ! Paris, le dernier film de Cédric Klapisch, est une véritable déclaration d'amour (consciente ou non) à la bourgeoisie parisienne et à son cinéma. Cela ne m'a pas empêché  de beaucoup l'apprécier !  Pourquoi faut-il toujours que ce terme soit encore si péjoratif ? Quel problème à être un bourgeois ou à se reconnaître des murs bourgeoises ?! C'est d'ailleurs le véritable problème du cinéma d'auteur à la française : c'est qu'il ne s'assume pas. Ainsi, le film français s'efforce-t-il de renier ce qu'il est devenu en se réappropriant des thématiques propres aux masses sociales. Et c'est par ce jeu de fausses prétentions populaires que le cinéma français en est aujourd'hui réduit à une diversité de façade qui traduit en fait un monolithisme de fond. Or, ce monolithisme, c'est le début de la désagrégation pour une culture plurielle comme l'est celle de la France. D'ailleurs, cette réalité de la crise culturelle ne touche pas le cinéma français qu'au travers des thématiques qu'il aborde mais pire encore ! elle attaque aussi et surtout le cinéma dans son fond, dans sa nature-même de cinéma....

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Le révélateur suprême de la crise : la négation progressive de ce qui fait le cinéma.

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Au fond, la pire crise que peut connaître le cinéma, c'est lorsque le cinéma commence à être nier pour ce qu'il est par essence. Or, il est surprenant de noter comment s'exprime aujourd'hui au sein de notre cinéma hexagonal une tendance de plus en plus affirmée au mépris que porte les films dits « d'auteurs » aux techniques cinématographiques. Hier encore en France, on primait à Cannes Entre les Murs et le Silence de Lorna, tandis qu'au Chatelet c'est Séraphine qui repartait avec sa pesante compression. Quelle étrange idée du cinéma que celle qu'on se décide à magnifier depuis quelques années dans nos contrées : cette idée que le véritable cinéma est celui qui parvient à s'émanciper le plus possible de sa science de l'artifice. Quel étrange parangon que cette forme de cinéma qui ne cesse de gagner en influence, au point même de toucher de grands formalistes comme Darren Aronofsky avec son récent Wrestler, et qu'on se plait parfois à appeler bien qu'on ne lui ait pas encore attribué de nom officiel le « cinéma du vrai ». A ce sujet, la France en a clairement trouvé sa figure de proue en la personne du réalisateur Abdellatif Kechiche. Avec deux César respectivement pour son Esquive et La Graine et le Mulet, le cinéma de Kechiche (photo du centre, ci-dessous) pourrait symboliser à lui seul ce qu'est ce cinéma « à la française » valorisé par tant de festivaliers.

    Sara Forestier. Rezo Films   AlloCiné   Abdelhamid Aktouche et Hafsia Herzi. Pathé Distribution

Que ce soit dans l'Esquive ou bien dans La Graine et le Mulet, il ressort de cette réalisation une caractéristique essentielle : le souci de toucher au vrai par l'absence d'artifice. On privilégie la personne à l'espace par un jeu de plans rapprochés du sujet,  on ne fixe jamais un cadre rigide, et on réduit les effets induits par le montage. Souvent on s'arrange pour que la photographie colle au plus proche de la réalité. De même, on exclue la musique comme un artifice superflu. Toute la démarche du cinéma du vrai est là : la technique est superflue, seul compte le sujet. Le cinéma du vrai c'est aussi du cinéma-sujet ou c'est la pertinence du sujet qui fait la pertinence du film, pas la technique. A ce titre, les seuls mérites que l'on reconnaitra au réalisateur seront ceux de s'effacer et de demeurer au seul service de la prise d'image et de son. Chez les Dardenne, la caméra suit les mouvements des protagonistes. Ce n'est pas aux protagonistes de définir leurs mouvements en fonction du cadre de la caméra. C'est bien le réalisateur qui est au service du sujet et non l'inverse. Il devient de plus en plus rare en France qu'un réalisateur voit ses mérites vantés pour sa seule forme. D'ailleurs, le seul pour qui ce constat est encore vrai aujourd'hui, c'est Olivier Assayas qui vante justement comme forme ultime du cinéma la « non forme ». Tout son travail repose lui aussi sur la destruction de toute convention de réalisation. Dans son dernier Boarding Gate, Assayas prétendait carrément chercher à casser la notion même de plan, ce qui pouvait l'entraîner jusqu'à ne pas filmer le sujet à filmer. Au fond, c'est cela le cinéma à la française aujourd'hui. Soit on se limite à de la réalisation platement conventionnelle, soit on rentre dans des formes kéchichienne ou assayesque de négation de toute forme et de toute technique.

  Olivier Assayas / Emmanuelle Béart. Olivier Assayas (réalisateur). ARP Sélection Olivier Assayas (réalisateur) et Asia Argento (de dos). ARP Sélection  

Quelle tendance au fond bien inquiétante que de voir progressivement la question des techniques du cinéma passer aux oubliettes ! Le plus paradoxal dans tout cela, c'est que cette tendance n'est en rien le fait d'un cinéma plus populaire, plus « gauchiste » qui résulterait au fond d'une réaction aux techniques clinquantes d'un cinéma de studio ou d'un cinéma bourgeois. Bien au contraire ! Si un Kechiche ou un Dardenne éliminent toute forme c'est justement parce qu'ils considèrent que seul le sujet décide de la qualité du film. Voila un cinéma qui renie le principe même de l'art, c'est-à-dire la question du « comment montrer ». La seule chose qui compte c'est la pertinence de « ce qui est montré », le sujet semblant donc se suffire à lui-même. En primant l'Esquive, un film qui, au final, se contente juste de nous peindre sans relief aucun la vie en banlieue, l'académie des César sous-entend que le seul sujet de la vie en banlieue suffit à faire de l'Esquive un chef d'uvre. L'académie a juste perdu de vue l'espace d'un instant que ce film est d'un ennui mortel pour celui qui sait ce qu'est la banlieue. En effet, pour celui qui n'est pas coupé de la réalité de la masse, il n'y a rien dans l'Esquive qu'on lui présente et qu'il ne connaisse déjà. Celui-là devra donc partir du principe que ce film, platement linéaire et qui raconte une histoire des plus basiques, est à considérer comme un chef d'uvre du cinéma. Et pourquoi finalement ? Seulement parce que d'un certain point de vue, le sujet à été jugé intéressant. Or, ne nous leurrons pas, il n'y a bien que pour une catégorie de la population pour qui la banlieue reste un concept abstrait et pour qui un film sur ce simple sujet mérite de l'intérêt. Cette catégorie, c'est bien celle du monde bourgeois des cinéastes. Quand on prend le temps de prendre du recul sur cette situation, ne serait-ce que deux minutes, on ne peut que tomber des nus face aux limites d'un tel raisonnement. Eh bien pourtant, chers lecteurs, voilà dans quelle voie est aujourd'hui lancé notre cher cinéma français pour ne pas dire notre cher cinéma d'Occident c'est une voie qui fait clairement primer l'utilité bourgeoise à celle de l'expression de l'art.

  Osman Elkharraz. Rezo Films  Bruno Lochet et Habib Boufares. Pathé Distribution  Arta Dobroshi. Diaphana Films

C'est une vérité presque irréfutable : faire primer la technique, c'est faire primer la nature artistique de l'objet ; a contrario faire primer le sujet, c'est faire primer l'utilité sociale de l'objet. L'Oiseau de Brancusi est perçu comme un chef d'uvre non pas pour son sujet, un oiseau, mais bien pour sa façon originale de transmettre l'idée d'un oiseau au travers de la figure abstraite qu'est la sculpture de Brancusi. La Campbell's Soup Can d'Andy Warhol ne nous interpelle pas parce que c'est de la soupe Campbell qui est représenté plutôt que de la soupe Knorr C'est bien la démarche qui consiste à mettre en avant un objet anodin qui suscite là le questionnement, et qui donc relève de la démarche artistique. Ce n'est pas le sujet qui en est à l'origine. Finalement, ce ne sont pas les Dardenne et les Kechiche qui sont à blâmer : ils se contentent juste de faire s'exprimer leur modeste cinéma, qui n'est d'ailleurs pas dénué d'un certain charme rustique. Le vrai problème qu'on ressent dans notre cinéma national c'est cette force d'inertie qui tend à ériger ce type de cinéma comme un modèle. Le souci, c'est qu'en privilégiant l'utilité sociale d'une uvre à sa qualité intrinsèque d'uvre d'art, les festivaliers transforment notre noble cinéma en un objet qui ne satisfait plus aux préoccupations universelles et intemporelles de l'artiste, mais aux préoccupations subjectives et temporaires du bourgeois mondain.

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Conclusion : vers le Moyen-âge du cinéma français ?

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A bien tout considérer, on constatera qu'à l'image de l'exemple américain, notre propre cinéma est pleinement révélateur des démons qui nous guettent. C'est celle-là la vraie crise à l'origine de toutes les autres. C'est la crise d'un milieu qui s'est progressivement embourgeoisé, aristocratisé, et fermé aux esprits nouveaux et révolutionnaires. Le cinéma français pourrait être riche aujourd'hui d'un Michel Gondry ou d'un Jean-Pierre Limosin, tous deux Français, mais qui n'ont pu exprimer leurs talents qu'à l'étranger. Le cinéma français pourrait être aussi riche des Luis Buñuel et autres Ken Loach qui, il n'y a pas encore si longtemps, venaient chercher en France terre d'asile artistique. Au lieu de cela, végète une quantité de films dont le nombre fait illusion, mais qui frappe par son monolithisme affligeant. Toujours les mêmes têtes, ceux qui ont su prendre le train à la belle époque et qui vivent aujourd'hui sur leurs acquis. Quand certaines têtes vieillissent et lassent, c'est dans les « fils » et « filles de » qu'on va chercher un rajeunissement générationnel : fils Langmann, fils Thompson, fille Balasko, fille Smet Et comme le vivier artistique s'est transformé en sérail aristocratique, les mêmes têtes engendrent les mêmes thèmes. Ancrés dans leur monde avant qu'il ne se fige, les cinéastes parisiens ressassent sans cesse les mêmes chansons qui, avec le temps, se sont mués en complaintes abstraites de bourgeois en goguette pour qui compte avant tout la pérennité d'un système qui les fait vivre Aujourd'hui, un cinéaste n'est plus quelqu'un qui cherche à transcender son être au travers d'une uvre à partager, ce n'est plus qu'un homme ou une femme du monde qui, pour justifier son statut social, se doit de temps en temps de réaliser un film « utile » et dans son temps. On reconnaitrait sans souci dans cette définition ceux qui ont participé à des films comme Parlez-moi de la pluie ou Le prix à payer, au même titre d'ailleurs que ceux d'un Astérix aux Jeux Olympiques ou autres Safari  C'est à s'étonner qu'encore aujourd'hui, des films qui traduisent une réelle démarche personnelle comme Le premier jour du reste de ta vie ou encore même Bienvenue chez les Ch'tis aient pu finalement voir le jour

  Jacques Gamblin, Zabou Breitman, Marc-André Grondin, Déborah François et Pio Marmai. StudioCanal  Kad Merad et Dany Boon. Pathé Distribution  Anna Mouglalis. Mars Distribution

Arrivé au milieu de la conclusion de cet article, vous voilà déjà prêts à l'oublier parce que vous le jugez trop extrapolé et démesuré dans son propos ? Si tel est le cas, regardez ou remémorez-vous seulement une cérémonie des César pour vous convaincre du contraire. Revoyez tous ces bonnes gens du cinéma français, endimanché, l'attitude figée lors de leur cérémonie glaciale. Revoyez ce Palais du Chatelet où les gentilles pitreries ont été depuis longtemps remplacées par un concours de bon mots et de phrases bien tournées, et où même les discours les plus enflammés comme ceux de Dustin Hoffman ne rencontrent désormais plus qu'un silence froid et juste des applaudissements de simple circonstance. On pourra dire ce qu'on voudra du principe même de la cérémonie ; de même on pourra penser ce qu'on voudra penser de l'ogre américain en terme de cinéma ; mais il n'empêche néanmoins que notre académie d'élitistes embourgeoisés fait bien pâle figure aux côtés d'une cérémonie des Oscars qui, bien que plus longue, ressemble bien plus à la fête de TOUS les genres cinématographiques à laquelle devraient ressembler toutes les cérémonies. Aux Oscars, même les films qui ne sont pas nominés sont présentés lors de la cérénmonie, qu'il s'agisse du teen-age movie commercial ou bien du gros blockbuster écervelé. Au fond, au-delà du principe des récompenses, tous les films ont leur place dans la grande industrie US. Il est bien dommage qu'il n'en soit pas de même dans notre « milieu » du cinéma, où ne pas correspondre aux codes préétablies par la noblesse en place vous ferme les portes à la réalisation de votre projet, quelque soit sa qualité artistique ou son potentiel commercial.

                            1240518673_ceremonie_cesar.jpg

Au Moyen-âge, les traces les plus tangibles du déclin culturel lié à la chute de l'empire romain d'Occident furent incontestablement l'évolution des arts. Qu'il s'agisse de l'abandon de la science des perspectives, des mises en relief et des proportions en ce qui concernent la peinture d'un côté ; ou bien encore la perte des connaissances physiques et mathématiques fondamentales dans le domaine de l'architecture de l'autre ; l'évolution des techniques artistiques vont toujours de pair avec les dynamiques culturelles d'une société. Or, qu'était la culture de l'Occident au Moyen-âge si ce n'est qu'un pale outil au service de la morale et des temporelles de l'Eglise ? Espérons qu'on n'en soit pas bientôt réduit à cela : un cinéma qui ne soit que l'expression de préoccupations purement bourgeoises et non plus la respiration sensitive d'une société en son entier. Bien évidemment, conclure cet article par cette espèce de dramaturgie de salon n'a pas pour but de chercher à vous convaincre par l'effroi, mais juste de susciter chez vous le regard critique. Qu'une fois que vous aillez fermé cette page, vous puissiez vous interroger si cet esprit de la crise qui nous conditionne tous a finalement réussi à toucher votre esprit et vos goûts en matière de septième art



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